moi aussi

Katrie Chagnon
Sylvie Cotton et Nathalie de Blois, Montréal
Éditions les petits carnets, 2013, 101 p
[In French]
Par pudeur ou par souci d'objectivité, on ose rarement parler des affects dans les rapports entre artistes et historien.ne.s de l'art ou commissaires d'expositions. De fait, très peu d'écrits témoignent encore du lien intime qui, dans bien des cas pourtant, se tisse entre ces protagonistes au travers de leurs rencontres et collaborations. Qu'il soit davantage d'ordre intellectuel ou qu'il relève de l'amitié véritable, voire de l'amour, l'attachement qui sous-tend l'élaboration d'une pensée de et sur l'art se trouve généralement dissimulé derrière le discours dit savant des catalogues d'exposition, monographies, essais analytiques et textes critiques où se construit l'interprétation des œuvres.

À ce titre, la petite publication patiemment murie par Sylvie Cotton et Nathalie de Blois fait merveilleusement exception. Délicat amalgame entre un livre d’artiste et un essai narratif proche du roman épistolaire, moi aussi se veut avant tout une expérience de dévoilement : dévoilement de ce refoulé affectif du discours interprétatif, mais aussi, surtout, dévoilement l’une à l’autre de deux amies par l’esquisse de leurs portraits réciproques. « Nous avons convenu de suivre un même mouvement l’une envers l’autre », explique de Blois, « celui de dépeindre, de dévoiler et de se laisser dévoiler » (p. VI).

Pour ce faire, l’auteure a expérimenté une nouvelle posture d’écriture, passant outre le mur de la théorisation pour nous raconter « Sylvie » depuis son propre vécu subjectif. Rédigé au « je » et au « tu », son récit personnel explore avec intelligence et sensibilité l’« espace de responsabilité partagée » auquel nous convie le travail de l’artiste. Son texte est ponctué de courtes phrases méditatives, transcrites en rouge et présentées comme de précieux enseignements sur l’art et la vie qu’elle retient de la fréquentation soutenue de l’univers de Sylvie Cotton. Fidèle à sa démarche, cette dernière a pour sa part réalisé un portrait visuel de « Nathalie » au moyen de schémas, de listes et de dessins représentant, entre autres, les marques corporelles de son amie, son estimée collection de trophées de chasse et les promenades effectuées ensemble. À la fin du livre, on trouve un inventaire de tous les titres contenus dans sa bibliothèque ainsi que des œuvres qui peuplent ses différents espaces de vie. Y a-t-il une plus belle et touchante manière de décrire le monde intérieur d’une historienne de l’art ?

Sans jamais verser dans le pathos, et évitant habilement le terrain du voyeurisme et de l’exhibitionnisme, l’expérience de « mise à nu » consentie à laquelle se sont prêtées les deux femmes nous atteint profondément. Cette humble leçon d’humanité s’incarne qui plus est dans un objet d’une remarquable finesse, dû au talent de Dominique Mousseau. C’est finalement un petit bijou d’authenticité qu’a engendré l’amitié entre Sylvie Cotton et Nathalie de Blois, ce qui prouve à quel point il importe de « faire les choses », même si la démarche s’avère longue et ardue.

Katrie Chagnon
Katrie Chagnon
This article also appears in the issue 83 - Religions
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