Karen Tam : Gold Mountain Restaurant Montagne d’Or

Manon Tourigny
Karen Tam : Gold Mountain Restaurant Montagne d’Or, catalogue d’exposition (Sonia Pelletier, dir. de publication), Montréal, MAI (Montréal, arts interculturels), 2006, 76 p.

[In French]

Qui n’a pas, un jour, mangé dans un restaurant chinois ? Pour banale qu’elle puisse paraître, cette question nous ramène à la connaissance que l’on acquiert d’une culture par sa cuisine, celle-ci nous permettant bien souvent de nous imprégner d’un univers, et même de voyager à peu de frais. C’est dans ce contexte que la pratique de l’artiste sino-canadienne Karen Tam s’inscrit. Le catalogue de l’exposition Gold Mountain Restaurant Montage d’Or permet de réactualiser l’installation qui a été présentée au MAI (Montréal, arts interculturels) au printemps 2004. Transformant radicalement l’espace d’exposition en simulacre de restaurant chinois, l’artiste crée un lieu qui fait appel à notre imaginaire, aux souvenirs que l’on peut avoir de ce genre d’établissement. En filigrane, l’artiste offre aussi une réflexion sur tout un pan de l’histoire de l’intégration des immigrants chinois sur notre territoire.

Afin d’aider à mieux saisir le questionnement qui s’opère dans cette installation, le catalogue comporte trois essais réalisés par Françoise Belu, Marcel Blouin et Day’s Lee. Dans un premier temps, Belu offre un regard plutôt théorique sur l’installation en prenant en considération les multiples signes mis en place par l’artiste pour créer un espace auquel le visiteur pourra s’identifier. L’auteur y voit la manifestation d’une sociologie esthétique, puisque l’installation immerge le visiteur dans un autre univers. Il entre ainsi dans un faux restaurant, mais joue également le rôle d’un client, prenant place à une table, lisant le menu, etc. Tam reproduit fidèlement l’intérieur d’un restaurant chinois en conservant tous les éléments de décoration, ce qui met en lumière l’idée ou l’image que l’on peut se faire d’une culture et de l’exotisme qui y est accolé. Belu fait ressortir le caractère hybride de cette installation qui mêle les cultures qu’elle met en scène, créant ainsi une rencontre entre l’Orient et l’Occident.

Dans un deuxième temps, Marcel Blouin ancre son propos, entre autres, dans une perspective historique qui contextualise l’immigration chinoise au Canada. On ignore souvent qu’un nombre important de Chinois ont été exploités et sont morts pour construire les chemins de fer de la Canadian Pacific. On comprend alors mieux pourquoi l’installation va, tel que l’indique Blouin, « […] au-delà de la nourriture et de la restauration, le propos de cette artiste est entièrement construit sur l’idée de la quête identitaire, sur la volonté de mieux se faire connaître auprès des Québécois et des Canadiens, peu importe leur origine » (p. 20). Par cette installation, Karen Tam tente d’ouvrir le dialogue et de briser les préjugés que nous pouvons avoir à l’endroit de cette culture. Le texte de Day’s Lee, qui clôt l’ouvrage, donne une vision intime de la vie des restaurateurs chinois. Fille d’un restaurateur, tout comme Karen Tam, elle raconte le dur labeur de ses parents cherchant à s’implanter en dehors du quartier chinois et
à créer au fil du temps un lieu de rencontre dans la communauté. 

Si aujourd’hui nous sommes conscients que ce type d’établissement sert une nourriture en version édulcorée pouvant plaire aux estomacs nord-américains, le restaurant chinois demeure souvent le seul point de contact de la population avec cette culture. La présentation du travail de Karen Tam nous semble donc nécessaire afin de (re)connaître une sensibilité artistique qui fait réfléchir. 

Karen Tam, Manon Tourigny
This article also appears in the issue 58 - Extimité ou le désir de s’exposer
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