Les nouveaux états d’être
Du 27 septembre au 11 janvier 2020
Du 27 septembre au 11 janvier 2020
[In French] Projet pluricéphale regroupant cinq duos d’artistes et de bioéthicien.ne.s1 1 - Grégory Chatonsky + Laurence Devillers / Mat Chivers + Cansu Canca / Clément de Gaulejac + Pascale Lehoux / Julie Favreau + Effy Vayena / Sandra Volny + Robert Truog autour des enjeux soulevés par le développement et l’application de l’intelligence artificielle (IA) en santé, l’exposition Les nouveaux états d’être présentée au Centre d’exposition de l’Université de Montréal, suscite à la fois ravissement et réflexions. Commissariée par Aseman Sabet et chapeautée par AIship – une entité ayant pour objectif d’engager des dialogues croisés et citoyens entre pratiques artistique et scientifique – l’exposition occasionne des échanges sensibles sur l’humain et ses rapports de codépendance avec les technologies de l’IA.
Si le thème peut sembler aride, voire barbant pour les néophytes des questions entourant l’IA, son traitement par les artistes ne l’est pas du tout et on se retrouve rapidement sous le charme d’œuvres chargées d’affects, baignant dès notre entrée dans la galerie dans une ambiance éthérée ou organique rarement associée à la machine ou à la robotique. Loin d’être désincarnées, les œuvres ne se veulent pas de simples illustrations de théories ou de concepts soulevés par les essais scientifiques auxquels elles sont jumelées, mais possèdent leur propre discours et esthétique, lesquels ont à leur tour irrigué la pensée des scientifiques et leurs essais. Cette question de réciprocité et d’échange semble donc nourrir en amont comme en aval les présupposés de cette exposition.
D’emblée, comme son titre le suggère, Les nouveaux états d’être aborde ainsi la dimension philosophique que soulève l’utilisation de l’IA et les risques de ses usages plus ou moins éthiques – et invasifs – en regard de l’intégrité du corps humain. L’installation Passibles (2019) de l’artiste Grégory Chatonsky est peut-être la plus éloquente à cet effet, pointant l’inextricabilité du développement humain et technologique. Posées sur une structure grillagée recouvrant des écrans où s’animent des images de corps ambigus produits par apprentissage profond à partir d’informations judiciaires, des impressions sculpturales 3D et anthropomorphiques suggèrent à leur tour l’hybridation de l’humain et de la machine. Tout près, des images captées dans l’espace public sont projetées sur un écran. Des sous-titres y narrent très succinctement les actions qui s’y déroulent, lesquelles sont ensuite décrites avec plus ou moins de cohérence par une voix synthétique et désincarnée, donnant à l’ensemble un verni de malaise et de dystopie. Conjuguant outils de surveillance, IA et identité, Passibles interroge l’hybridité qui nous constitue alors que le principe d’altérité se calibre d’ores et déjà à l’aune des technologies de pointe.
L’installation Equal Rights (2019) de Mat Chivers, témoigne également de cette altérité ambigüe et fragile. Une immense balance sur laquelle sont disposés des moulages en bronze évoquant des roches ou des minéraux nous rappelle (avec peut-être trop d’emphase d’ailleurs) l’équilibre précaire qui nous unit à l’environnement et à ses ressources, souvent surexploitées. Une démonstration très réussie, l’œuvre This Thing (2019) de Julie Favreau, une magnifique installation vidéo mettant en scène l’étrange interaction presque sensuelle d’une femme et d’une entité semblant être faite de chair et d’algorithmes. Se mouvant en une chorégraphie improvisée dans un champ baigné de lumière, corps humain et matière artificielle s’apprivoisent, chaque organisme répondant avec bienveillance et réceptivité aux réactions de l’autre.
La question de la relationnalité et l’éthique du care – notion à cheval entre l’empathie et le soin – est au cœur de cette exposition comme du projet AIship, un néologisme qui, sans coïncidence, « fait référence aux nouvelles relations, identités et agentivités qui émergent de l’utilisation de l’IA »2 2 - Extrait tiré de l’opuscule de l’exposition Les nouveaux états d’être, p. 17.. Car tout n’est pas noir dans ces « en-devenirs » technologiques et l’IA pourrait, semblerait-il, être garante de vies plus vivables.