Graciela Iturbide
Heliotropo 37

Itay Sapir
Fondation Cartier pour l'art contemporain, Paris
12 février au 29 mai 2022
Graciela-Iturbide_Pájaros en el poste de luz
Graciela IturbideAmerica, 2016.
Photo : Jacopo Zotti, permission de Maurizio Cattelan's Archive
Fondation Cartier pour l'art contemporain, Paris
12 février au 29 mai 2022
[In French]

Il y a quelque chose de fascinant chez les artistes ou penseur.se.s qui changent radicalement de cap au milieu du parcours créatif, incarnant tour à tour deux personnages presque entièrement distincts. La différence majeure, par exemple, entre le Ludwig Wittgenstein du Tractatus logico-philosophicus et celui des Recherches philosophiques – idées dissemblables, style et rhétoriques tout autres, postulats et ambitions renouvelés – ont pour ainsi dire créé deux personnes, « le premier Wittgenstein » et « le Wittgenstein tardif », de qui mes professeur.es de philosophie parlaient comme de deux entités séparées qui, presque par un pur hasard, s’incarnaient dans le même homme et portaient le même nom. En art, les transformations d’un Francis Picabia ou d’un Philip Guston, mais aussi, bien plus tôt, de Titien ou de Michel-Ange, ne semblent pas moins radicales. La question de la continuité et de la rupture, centrale à toute étude historique, se pose de manière particulièrement aigüe pour ces artistes : tantôt on veut décrire un parcours double par une dichotomie totale, tantôt on cherche à démontrer, au contraire, qu’en dessous des apparences fort divergentes se cache un projet artistique cohérent, conçu par une seule et même personnalité créatrice. 

L’étonnante exposition rétrospective de Graciela Iturbide à la Fondation Cartier semble organisée en vue de soulever précisément ces questions intrigantes. D’entrée de jeu, les commissaires annoncent une structure binaire, correspondant aux deux niveaux de l’institution parisienne : un étage est consacré aux œuvres plus connues de la photographe, datant des trois dernières décennies du XXe siècle ; l’autre regroupe un ensemble moins souvent vu de photos des dernières vingt années. Non seulement les deux périodes semblent, de prime abord, suivre une démarche artistique bien distincte l’une de l’autre, mais aussi, l’exposition rend les choses encore plus complexes en inversant l’ordre chronologique et en suggérant un parcours débutant avec la période plus récente. Le résultat permet au public, qui connait déjà l’œuvre de la photographe ou qui, comme moi (honteusement), découvre même ses œuvres les plus souvent exposées, de développer une réflexion intéressante sur une série d’enjeux que la pratique d’Iturbide aborde avec une grande pertinence.

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