Persistance – Mathieu Beauséjour

Manon Tourigny
Montréal, Quartier éphémère
2008, 144 p.
[In French]
Un livre noir marqué des lettres rouges de la persistance avec un autoportrait numismatique de l’artiste sur la couverture. Voilà qui donne le ton à cet ouvrage conçu à l’image de Mathieu Beauséjour, qui en a assuré la direction artistique.  Si l’artiste s’est fait lui-même le porte-étendard de la persistance, allant même jusqu’à se faire tatouer le mot dans sa chair, on ne peut que constater la pertinence de son parcours depuis les 15 dernières années. 

Publié par Quartier éphémère, hôte de l’exposition Monument de l’artiste en 2007, cette première monographie bilingue consacrée à Beauséjour fait état d’une démarche artistique ­résolument inscrite dans la durée. Qu’on pense, par exemple, à l’International Virologie Numismatique (IVN) qui a infiltré et contaminé le système ­économique canadien sur une période de neuf années. Un rapport final de ce projet, que l’on peut consulter, recense les numéros de série de billets de banque qui ont été marqués du sceau par cette cellule anarchiste clandestine. Comme l’analyse l’économiste Ianik Marcil dans son essai, ce travail de contamination questionne l’inatteignable de l’argent et, par extension, interroge « le pouvoir qu’il a dans le système social et [sur] le pouvoir qu’il confère à qui en possède ». (p. 117) Malgré la présence de ce virus artistique sur la monnaie, celle-ci a continué à posséder la même valeur d’échange dans le système économique, faisant dire à Marcil que le « virus n’a pas atteint la Bête. »

Cette persistance de Beauséjour semble ancrée dans un entêtement à déjouer le système par différentes stratégies dont celle de la taupe, ­métaphore qu’utilise le théoricien Bernard Schütze dans son analyse des plus pertinentes pour comprendre la démarche de l’artiste. Comme cet animal, l’artiste creuse et remue le sol pour bousculer nos convictions. Dans le cas de Beauséjour, les différentes manœuvres et installations qu’il a réalisées posent un regard lucide sur le marché de l’art, la politique et l’histoire. L’artiste révèle les forces de l’oppression, en entremêlant les temporalités, s’inspirant du passé et ses différents symboles pour les réintroduire dans un maintenant actuel. C’est le cas, par exemple, de la guillotine grandeur nature dominant l’espace de la Fonderie Darling et qui évoque une place publique (tables de pique-nique, pigeons circulant au sol et gardien de sécurité). Instrument de pouvoir ayant marqué la Révolution française, la guillotine nous rappelle que de nombreuses personnes ont été tuées pour leurs convictions politiques. Dans ce contexte d’exposition, l’œuvre Monument de Beauséjour remet nos idéaux perdus aux goûts du jour et porte à notre mémoire que les révolutions ont souvent été ­sanglantes. La terreur nous menace constamment, peu importe la force et la forme qu’elle prendra.

Après avoir feuilleté cet ouvrage, richement illustré, force est ­d’admettre qu’il s’agit d’un outil essentiel pour qui veut saisir la pratique d’un artiste dont les convictions politiques s’immiscent subtilement dans le système artistique.

Manon Tourigny, Mathieu Beauséjour
This article also appears in the issue 64 - Waste
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