Étienne de Massy

Jennifer Alleyn
Centre des arts actuels Skol, Montréal,
du 17 janvier au 15 février 2014
Étienne de Massy, La valeur sublime, vue d’installation, Centre des arts actuels Skol, Montréal, 2014.
photo : © Étienne de Massy

[In French]

L’argent est la principale valeur. Si j’ai de l’argent, j’ai les moyens d’être moi. – L’argent sauve l’homme. – La pensée de l’argent est la seule pensée… Christophe Tarkos, poète né à Marseille, mort à 40 ans en 2004, aligne ces préceptes dans un texte intitulé L’Argent. L’artiste montréalais Étienne de Massy les reprend tels des mantras dans La valeur sublime, une instal­lation présentée au centre des arts Skol.

Si la poésie de Christophe Tarkos est un acte de déconstruction périlleux qui tente d’aboutir à la libération d’une langue perçue comme aliénée, au risque de l’incompréhension et du mutisme, l’intérêt de l’instal­lation tient au fait d’y avoir accolé des images en tentant de conserver le côté « mastication » dans la forme visuelle. Le poème de trente pages est ici librement tronqué afin de faire résonner le mot argent comme un leitmotiv. Cette charge qui juxtapose l’ironie à l’insolence, narrée par De Massy lui-même, nous entraine dans une expérience esthétique hypnotique. La galerie, divisée par une cloison, accueille sur le mur d’une pièce un écran géant et sur le sol de la pièce adjacente, un téléviseur.

La première vidéo présente des images documentaires hyper­léchées, constituées d’animations photonumériques où se mêlent des scènes de rue : alignements de forces policières, manifestations, foules et individus. De Massy répond par l’image à une invitation du poète qui, lors de la première édition de L’Argent, avait proposé à ses amis de le réécrire entièrement. Un acte de dépossession du langage dont De Massy prolonge la posture, en s’invitant, dans une deuxième vidéo, à reconstruire avec des images nouvelles ou « usagées » un récit visuel complètement neuf. La trame sonore de la première vidéo traverse l’espace et vient se coller aux images muettes de la seconde, plus obsédante encore, qui présente un amalgame d’images glanées pendant sept ans par le photographe dans des villes européennes riches, culturelles, bourgeoises. Le spectateur sera troublé de revoir des images déjà entrevues. L’astuce d’avoir situé cette pièce derrière la première sera de permettre à la parole et au texte de Tarkos d’influer aléatoirement sur notre lecture de ces images randomisées à l’extrême. Autoportrait ? Portrait d’une aliénation ?

Le travail du photographe et cinéaste Étienne de Massy fait ici sa première incursion montréalaise en galerie après avoir été présenté dans de nombreux festivals : Mostra internationale di video e cinema oltre (Milan) ; Vidéoformes (Clermont-Ferrand) ; Internationales Kurzfilm Festival (Hambourg) ; Interfilm (Berlin) ; Viff (Vancouver) ; Festival du nouveau cinéma (Montréal). En 2009, il remportait en Espagne le 1er prix du DVA (Digital Video Arts) pour Somnia_3. L’artiste travaille à la version anglaise de La valeur sublime, qui pourrait voler son titre au célèbre chant incantatoire d’Archie Shepp, Money blues

Étienne de Massy, Jennifer Alleyn
This article also appears in the issue 81 - Being Thirty
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