Artur Żmijewski. Scénarios de dissidence

Érika Wicky
Véronique Leblanc et Louise Déry, Montréal, Galerie de l’UQAM, 2011, 150 p.

[In French]

La publication de ce catalogue présente un intérêt considérable à plusieurs niveaux. Elle permet non seulement de conserver la trace d’une expérimentation scénographique consistant à exposer dans une galerie un médium aussi contraignant que la vidéo, mais aussi de la réinvestir dans une recherche éditoriale qui s’exprime par le graphisme singulier du livre. Ensuite, elle ramène dans l’espace public la réflexion sur le vivre ensemble et sur les enjeux politiques de l’art, projet dont Louise Déry rappelle justement l’importance à plusieurs reprises dans cet ouvrage. Bien qu’elles évaluent, dès la préface, la nécessité de renouveler une telle réflexion à l’aune du contexte québécois actuel (« ici, chez nous », écrivent-elles) et de la vocation d’une galerie universitaire, les auteures ne cessent de souligner la portée universelle des questions soulevées par l’œuvre d’Artur Żmijewski, notamment en reproduisant en polonais des extraits de son manifeste The applied social Arts (2007).

Le texte de Véronique Leblanc oriente la réception des œuvres exposées en les inscrivant dans une réflexion générale sur l’art relationnel. Analysant les œuvres en termes d’altérité et de relations de pouvoir, elle fait apparaître les enjeux d’une pratique artistique qui met en évidence son propre pouvoir sur des individus et affirme l’impossible conciliation des idéologies. C’est donc sous l’angle du pouvoir et du doute qu’elle considère l’œuvre de Żmijewski, d’abord en évoquant la force de conviction d’installations vidéo au statut ambivalent, oscillant entre documentaire et fiction au gré de la perception du spectateur, ensuite en insistant sur le trouble que peuvent causer des œuvres semblant démentir l’idéal démocratique. C’est en trahissant cet idéal que l’artiste fait, selon elle, acte de dissidence.

Déry, quant à elle, semble emprunter le chemin inverse en montrant comment l’artiste répond aux grandes questions posées à l’art par la philosophie politique. Convoquant Hannah Arendt et Jean-Luc Nancy, elle insiste sur la pertinence, voire le caractère impératif, d’une pratique artistique engagée qui s’arroge un rôle dans le monde et incite les spectateurs à prendre conscience du leur.

Ce catalogue confirme qu’un intérêt particulier a été porté à la dimension subversive de l’œuvre d’Artur Żmijewski, ce qui est suggéré par le choix du terme « dissidence » pour présenter cette exposition. Parce qu’elle reprend ce terme si souvent associé à l’époque soviétique pour distinguer le travail d’un artiste polonais, on peut être tenté d’inscrire cette exposition dans la lignée de celles qui, comme Les promesses du passé (Centre Georges Pompidou, 2010), cherchent dans l’Europe postsoviétique la source d’un nouvel art engagé.

Érika Wicky
This article also appears in the issue 75 - Living Things
Discover

Suggested Reading