L’art critique, le sens critique et la responsabilité

Alexandre David
Lorsque Chantal Mouffe affirme que « l’art critique cherche à créer une situation agonistique à travers laquelle des alternatives deviennent possibles1 1 - Sébastien Hendrickx et Wouter Hillaert, « The art of critical art », Rekto Verso, no 52 (mai-juin 2012), www.rektoverso.be/artikel/art-critical-art [consulté le 21 mai 2015]. », elle envisage la transformation des individus à partir des tensions et des conflits générés par les œuvres. Ce que Mouffe propose ici s’inscrit dans une critique sociale plus large, fondée sur la reconnaissance de la légitimité des positions adverses2 2 - Mouffe synthétise bien cette idée, initialement développée avec Ernesto Laclau dans Hegemony and Socialist Strategy: Towards a Radical Democratic Politics (Londres, Verso [Radical Thinkers], 1985), et dans « Critique as Counter-Hegemonic Intervention », publié en 2008 sur le site web de l’Institut européen pour des politiques culturelles en devenir (http://eipcp.net/transversal/0808/mouffe/en [consulté le 21 mai 2015]).. On pourrait considérer l’art critique, dans son ensemble, à partir de ce modèle. Il n’y a en effet aucune entente sur ce que cette catégorie recouvre. Différents découpages favorisent l’émergence de notions concurrentielles. Mais au-delà de la confrontation possible de différentes visions, qu’en est-il de l’acte lui-même de départage et d’appréciation des œuvres et des pratiques, quelle que soit la vision sur laquelle s’appuie cet acte ?

De prime abord, le départage est un acte classificatoire comme tant d’autres. Il s’inscrit dans un usage normal du langage qui s’appuie sur des classifications pour rendre compte du monde aussi bien que pour organiser la pensée. Une classification, ou une catégorie, comme celle de l’art critique, n’est autre chose que le résultat d’une délimitation qui se consolide dans l’espace commun du langage. En fait, tous les actes psychiques qui prennent forme dans la pensée avec suffisamment de précision pour être saisis en tant qu’entités sont tributaires de découpages conditionnés par le langage, lui-même déterminé socialement. Difficile, alors, d’établir, parmi les contours qu’on donne aux choses, lesquels sont le résultat d’expériences et de réflexions intimes et lesquels sont plutôt issus d’un apprentissage social normé, tant ce qui se rapporte à nos vies intérieures est modelé par des conditionnements extérieurs. Tout aussi problématique est notre capacité de vérifier la validité des notions qui résultent de tous ces découpages entremêlés, dont celles qui semblent avoir été acquises de manière passive, mais qui n’en sont pas moins valables. Le sens critique, dans son acception la plus générale, est une attitude qui permet d’affronter cette difficulté en prenant du recul par rapport à toute certitude pour en réévaluer non seulement l’origine, mais également l’incidence sur soi-même comme sur les autres.

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Cet article parait également dans le numéro 85 - Prendre position
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