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No. 112 : Rêves
Date de tombée : 1er avril 2024

Dans nos rêves, nous faisons face à nos désirs et à nos peurs les plus profonds. Pour beaucoup, cela permet d’assimiler ce qui s’est passé dans la journée, de résoudre un problème ou de découvrir son vrai soi. C’est ce que l’on peut appeler la manière scientifique ou naturelle de comprendre la fonction des rêves. Selon Sigmund Freud et Carl Jung, qui pratiquaient l’interprétation des rêves, nos visions nocturnes seraient respectivement un assouvissement des désirs ou une expression symbolique. Mais l’interprétation nuit-elle à la capacité des rêves à influencer notre vie ? C’est la question que posent le musicologue Phil Ford et l’auteur J. F. Martel dans un épisode du balado Weird Studies intitulé « On James Hillman’s The Dream and the Underworld ». Plutôt que de diminuer ou d’expliquer les rêves par l’interprétation, Ford et Martel insistent sur le fait que ces visions font partie de la réalité, qu’il ne s’agit pas de simples métaphores ou du déversement d’un excès d’informations par le cerveau, et que nous vivons dans nos rêves tout comme dans notre vie éveillée.

Le pouvoir des rêves réside avant tout dans le grand mystère de leur existence. Bien que rêver ne soit pas unique aux êtres humains – en étudiant l’activité cérébrale de rats endormis, des chercheurs et chercheuses du MIT ont montré que les animaux ont des rêves complexes –, en tant qu’espèce, nous sommes obsédés par les rêves : nous les analysons, les archivons et les représentons. Les œuvres qui portent sur les rêves ou qui utilisent la logique du rêve semblent accessibles au plus grand nombre, car il s’agit d’une expérience universelle. La constante popularité du surréalisme est directement liée à notre fascination pour l’étrange, le bizarre ou ce que nous pourrions appeler aujourd’hui les anomalies dans la matrice.

Curieusement, ces moments peuvent se produire aussi bien dans la vie éveillée que pendant le sommeil, ainsi que dans cet espace liminaire indescriptible entre le conscient et l’inconscient. L’artiste et cinéaste Apichatpong Weerasethakul est passé maitre dans l’art de brouiller cette frontière. Selon lui, l’art, comme les rêves, nous donne accès à de nouveaux mondes, et il encourage même son public à dormir pendant les projections. Certaines des œuvres d’art contemporain les plus marquantes sont celles qui intègrent le langage des rêves et des cauchemars dans la réalité, par exemple les films du réalisateur David Lynch. Mais tout comme la réalité peut ressembler à un cauchemar – c’est souvent le cas avec l’aggravation de la crise écologique, la montée des mouvements politiques fascistes dans le monde et le développement rapide des technologies de l’intelligence artificielle –, les rêves représentent pour beaucoup un espoir. Ils nous renvoient à des horizons utopiques de mondes futurs et évoquent cette capacité d’imaginer autrement qui caractérise les pratiques artistiques et politiques.

Dans le livre Decolonial Dreams: Unsettling the Academy through Namewak, l’anthropologue métisse Zoe Todd parle de l’esturgeon jaune du nord de l’Alberta, désigné espèce menacée, et de l’état des populations de poissons des Prairies en général, dévastées par le colonialisme et la destruction de l’environnement qui s’en est suivie. Le rêve décolonial de Todd est de « bâtir quelque chose de plus responsable, quelque chose de réciproque et d’aimant à la place des structures et des récits qui existent actuellement » [trad. libre]. Réfléchir et travailler collectivement est la clé de sa vision de l’avenir. Un rêve d’une telle ampleur ne peut se réaliser que si nous le rêvons dans la réalité ensemble. C’est aussi pourquoi l’artiste féministe Susan Hiller nous rappelle qu’il ne faut pas reléguer nos rêves au domaine privé. Dans Dream Mapping (1974), Hiller présente le rêve comme une expérience collective qui apporte de nouvelles perspectives sur des questions internes personnelles. En tant qu’insomniaques et consommateurs et consommatrices de substances nocives notoires, les artistes feraient bien de prendre en considération la nature réparatrice du sommeil et des rêves (le thème des drogues occupe d’ailleurs une grande partie de la discussion entre Ford et Martel sur les rêves en raison de leurs recoupements, notamment sur le plan spirituel et transcendantal). Étant donné les liens historiques entre le rôle de l’artiste et l’expression des visions, de l’imagination et de la fantaisie, ce numéro thématique cherche à mettre en lumière les capacités particulières des rêves. Esse arts + opinions invite les auteurs et autrices à proposer des textes sur le thème des rêves tel qu’il est abordé dans les arts aujourd’hui. Quelles sont les tactiques utilisées par ceux et celles qui souhaitent faire entrer le monde des rêves dans le monde éveillé, et quels sont les résultats de leurs initiatives ? En quoi le sommeil et les rêves peuvent-ils nuire au capitalisme ? Inversement, comment « le Rêve » est-il récupéré par les patronnes et patrons pour pousser le personnel à faire progresser le capitalisme ? Comment les rêves rapprochent-ils ou distinguent-ils les êtres humains des animaux ou de l’intelligence artificielle ?