Xavier Le Roy

Retrospective

Maud Jacquin
MoMA PS1, New York
du 2 octobre au 1er décembre 2014
Xavier Le Roy Retrospective, MoMA PS1, New York, 2014.
Photo : Lluís Bover, © Fundació Antoni Tàpies
[In French]
Dans son travail chorégraphique, Xavier Le Roy met en scène un corps échappant constamment aux catégories qui cherchent à le définir. Sans cesse transformé par des forces extérieures avec lesquelles il entre en composition, ce corps est pris dans un devenir-autre l’empêchant à tout instant de se figer. Dans Self-unfinished (1998), dont le titre est lui-même révélateur de ce processus, Le Roy soumet son propre corps à des métamorphoses multiples : il le plie, le morcèle et le défait au point de le rendre méconnaissable. Dans Giszelle (2001), une collaboration avec la chorégraphe Eszter Salomon, le corps devient le vecteur d’images liées à notre imaginaire culturel (une ballerine, Le Penseur de Rodin, un singe). Traversé par des représentations appartenant à différents registres (humain/non-humain ; animé/inanimé ; masculin/féminin), il se modifie et s’ouvre à l’altérité.

Pour Retrospective, Le Roy transforme son « corpus » d’œuvres comme il transforme les corps. Loin d’une rétrospective au sens traditionnel, il crée un dispositif chorégraphique destiné à réactiver ses anciennes pièces sous des formes toujours renouvelées. Des fragments empruntés à plusieurs de ses solos sont interprétés simultanément par quatre performeurs selon des temporalités propres aux œuvres plastiques généralement présentées dans un musée : l’immobilité d’une sculpture, la boucle d’une vidéo et le développement plus ou moins linéaire d’un film narratif. À chaque entrée d’un visiteur, les performeurs s’interrompent, émettent un sifflement mécanique et échangent leurs positions avant de se lancer dans l’exécution d’un nouvel extrait. Fonctionnant comme une sorte d’algorithme aléatoire, le dispositif produit des assemblages provisoires en construction et déconstruction permanentes. Constamment recontexualisées, les œuvres sont soumises à des traductions qui en renouvèlent le sens ; les archives prennent vie d’une manière qui reflète le travail associatif de la mémoire.

La transformation du corpus de Le Roy ne résulte pas seulement du télescopage des chronologies ; elle passe aussi par la mise en avant de la subjectivité des performeurs. Ceux-ci sont en effet invités à construire et à présenter leur « rétrospective personnelle », une histoire de leur relation à la danse et à l’œuvre de Le Roy qui intègre des pièces du chorégraphe. L’agencement des extraits chorégraphiques n’est donc plus uniquement guidé par des mécanismes algorithmiques mais par des expériences individuelles, une histoire et des circonstances locales. Dans ce contexte, il n’est pas anodin que Le Roy ait choisi de ne présenter que ses solos ; il souligne ainsi le rôle des performeurs comme coauteurs et le passage de l’individuel au collectif. À une question sur ma difficulté à distinguer dans sa « rétrospective » ce qui relève de sa propre recherche et de celle de Le Roy, le danseur Will Rawls répond : « c’est un exercice difficile mais je crois que j’aime cette ambigüité ». Rawls touche ici à ce qui, à mon sens, fait la force de la proposition de Le Roy : chorégraphe et danseurs prennent le risque de s’ouvrir à l’autre et d’en être changés.

Maud Jacquin, Xavier Le Roy
Maud Jacquin, Xavier Le Roy
This article also appears in the issue 83 - Religions
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