Puisqu’à toute fin correspond 
Raymond Gervais

Mario Gauthier
Nicole Gingras : entretiens, éditions Nicole Gingras, 2007, Montréal, 137 p.

[In French]

Commencer par le premier principe : Puisqu’à toute fin correspond…

Issu d’une série de conversations entre la commissaire Nicole Gingras et l’artiste multidisciplinaire Raymond Gervais, tous deux montréalais, ce livre porte modestement comme sous-titre « entretiens ». Ce qui est loin de rendre compte de l’envergure du projet puisque de 20 à 30 heures de discussions réparties sur trois ans (2004-2007) en furent la matière première. Patiemment retranscrites, elles furent ensuite « montées » – comme on le faisait jadis à la radio avec du ruban magnétique – et assemblées par thèmes.

Le résultat de cette démarche – inhabituelle pour un livre ­d’entretiens – est fascinant. Nicole Gingras est une interlocutrice éclairée et respectueuse. L’écrit épouse étroitement le rythme et l’expression si ­particulière de cet artiste qui, dans son art, reconjugue constamment les mêmes ­thèmes, un peu comme Samuel Beckett, dont l’influence est si manifeste. 

Gervais est, à sa façon, quelqu’un qui compose et donne à ­écouter des musiques sans pourtant composer ni jouer une seule note. Bien avant que le sound art soit au goût du jour, Raymond Gervais fait de la ­musique le centre de sa pratique artistique. Amateur de jazz, il fait ­quelques ­performances musicales, puis, vers 1975, s’intéresse de plus près au « ­cercueil » où l’on met souvent la musique : le disque. Installations où ­trônent, silencieusement (ou non) phonographes, gramophones ou tourne-­disques, affiches de concerts qui n’eurent jamais lieu, disques imaginaires dans ­lesquels il propose des solos, duos et trios impossibles (Charles Cros : Piano, Improvisations, duo Gustav Mahler/Lester Young, etc.) sont quelques-uns des moyens qu’utilise Gervais pour questionner les relations qui existent entre silences, entendus et sous-entendus en musique.

Car un disque, pour Gervais, n’est pas une chose morte mais un « générateur d’imaginaire ». D’imaginaires, dirions-nous plutôt car, comme il le souligne, le disque est un objet visuel avant qu’on ne le fasse jouer. « […] Si je mets le regard ou l’écoute sur une pochette de disque, on ne sait plus ce que l’on entend […] parce que l’on est tous habité par des fictions, par le potentiel de diverses fictions qui sont activées par un travail. »
(p. 34)

L’ouvrage est remarquable. De lecture aisée, il propose la synthèse d’une démarche fort complexe dans laquelle il est moins question du son et de sa diffusion que des conditions qui président à sa perception. Et il ­fallait, pour cela, que Nicole Gingras parvienne à rendre compte de la ­pensée plurivalente de cet artiste. Ce qui est totalement réussi. 

« Le regard est-il acoustique ? […] La pensée ou l’action de pensée est-elle acoustique si je la mets sur disque ? », demande cet artiste de l’écoute des silences de la musique. 

À lire ou plutôt à écouter Raymond Gervais, on se rend compte que oui. 

Mario Gauthier, Raymond Gervais
This article also appears in the issue 63 - Mutual Actions
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