Michel de Broin

Jennifer Alleyn
Musée d’art contemporain de Montréal,
du 24 mai au 6 septembre 2013
Michel de Broin, Pile, 2010.
photo : © Michel de Broin, permission de l’artiste, du Musée d’art contemporain de Montréal et de la Galerie Division, Montréal

[In French]

L’artiste Michel de Broin, dont l’œuvre se déployait récemment au Musée d’art contemporain de Montréal pour un premier bilan critique, aurait pu inspirer à Charles Baudelaire son célèbre apophtegme : « Le beau est toujours bizarre »… Sculpteur de paradoxes, ce Montréalais de 43 ans, tour à tour ingénieur, mécanicien et pataphysicien, s’est prêté au jeu de la rétrospective. Avec la complicité du commissaire Mark Lanctôt, il propose avec ses « détournements de sens faits objets », ou comme le dirait Francis Ponge, ses « objeux », des œuvres ludiques réalisées au cours des dix dernières années qui mettent en forme la pensée, intriguent et interrogent notre rapport à la résistance.

Bicyclette, lavabo, chaises… sont retournés, inversés par le regard oblique d’une mise en scène de l’abîme et du heurt. Un fusil-trompe tire sur lui-même, des canons s’embrassent, une alarme rendue silencieuse sonne sous une cloche de verre… Ces « métaphores » tridimensionnelles prennent toujours pour point de départ une observation de guingois. Dans L’abîme de la liberté, 2013, inspirée par l’œuvre d’Auguste Bartholdi, la Liberté adopte une nouvelle posture : elle se tient en équilibre sur sa flamme, tête en bas, défiant la gravité. Sa prouesse tient ici à sa maîtrise de l’équilibre plutôt qu’à son enracinement. Rentré au pays après dix ans de résidences à l’étranger, l’artiste varie le médium selon l’inspiration et la ville où a été créée chaque pièce – Berlin, Londres ou Paris. Dans un accrochage soucieux de laisser les œuvres dialoguer presque aléatoirement, c’est un éloge au heurt, au choc et à la commotion, qui crée chez le visiteur un sentiment de surprise. L’étonnement n’est-il pas l’élément premier de la création ?

Lauréat en 2007 du prix Sobey pour les arts et boursier de la Harpo Foundation à Los Angeles et de la Krasner-Pollock Foundation à New York, de Broin approfondit une pratique transdisciplinaire qui exerce une grande fascination, par les réactions inédites qu’elle fait surgir d’un mariage entre la technologie et la poésie du quotidien. Parmi les coups de génie, une bicyclette convertissant l’énergie en fumée (Keep on smoking, 2006), un lavabo duchampien dont s’écoule un filet d’eau et de feu incompréhensiblement entremêlés (Étant données, 2013). Ampoules, aimants, fils chauffants, tubulures et cadrans numériques transforment la salle du Musée en cabinet d’inventeur. Les créatures se toisent, avec leurs yeux d’horloge ou de pile ; boulons et culots d’ampoule servent de cavités oculaires aux monstres d’ingéniosité qui peuplent ce zoo particulier. La photographie Pile, avec ses sections de réverbère cordées comme des bûches, prolonge la vidéo dans laquelle un lampadaire est abattu à la scie à chaîne, plongeant le paysage urbain dans une obscurité ténébreuse – l’homme devant l’univers ? –, qui laisse soudainement entrevoir les étoiles…

Jennifer Alleyn, Michel de Broin
This article also appears in the issue 80 - Renovation
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