Michael Eddy, Wendel’s Institution: The Live Podcast

Didier Morelli
Fonderie Darling, Montréal
Le 30 avril 2020
Michael EddyWendel's Institution: The Live Podcast, vue de l'installation pour la performance en ligne, 2020.
Photo : permission de l'artiste
Fonderie Darling, Montréal
Le 30 avril 2020
[In French]

Devenue un mode de diffusion incontournable depuis le début des années 2010, la baladodiffusion se distingue dans l’écosystème des médias par l’écoute en différé. Les séries balados populaires dont This American Life, Serial, et Radiolab, développent un style de narration reconnaissable qui mélange les récits racontés à la première personne, les entrevues et le journalisme d’enquête. Quant à leur esthétique sonore, on y trouve souvent la voix de l’hôte grave et digne de confiance, un peu de « vocal fry, » un thème d’ouverture iconique et une qualité audio hyper recherchée. Gagnant aujourd’hui en popularité grâce à la diversité de leurs contenus, les balados participent à la création d’un imaginaire contemporain, un nouvel intellectualisme médiatique hip et novateur.

La performance audio et vidéo Wendel’s Institution: The Live Podcast de Michael Eddy, diffusée sur Twitch le 30 avril dernier, met en relief de façon critique plusieurs aspects de la baladodiffusion. Réalisée dans le contexte de son exposition Je suis à la Fonderie Darling, l’artiste propose une lecture performative d’un récit de science-fiction dystopique conçu en collaboration avec son oncle américain Alex Kreger. La conversation entre le jeune artiste qui s’identifie comme un « artsy soft kid » et son oncle, qui défend une position plutôt capitaliste et conservatrice, explore les tensions intrafamiliales autour de questions économiques, sociales et culturelles. Sous couvert du loufoque noir, Eddy nous présente une réalité parallèle qui illustre vivement les divisions socioéconomiques et intrinsèques de notre société contemporaine.

Au début de l’évènement, Eddy est assis devant son microphone portant un bob argent et une chemise jaune fluo. Au coin de l’écran gauche, il nous apparait simultanément sous un autre angle, légèrement en distorsion grâce à un filtre imitant un ruissèlement d’eau. À l’opposé du balado traditionnel, l’artiste présente une œuvre diffusée en direct et dont la composante visuelle inclut une banque d’images qui défilent en continu. La sélection d’images un peu stéréotypée et générique détonne avec la lecture précise du récit, ce qui alimente la texture du monde fantastique imaginé par l’artiste. Comme plusieurs contes de science-fiction, la performance se déroule dans un univers parallèle mais reste ancrée dans notre réalité contemporaine : « Wendel’s Institution se déroule dans une Amérique ultra conservatrice récemment assujettie à un régime communiste du futur, dans lequel les émotions ont remplacé l’argent comme principale monnaie d’échange. » On fait la rencontre de divers personnages dont Harold, trafiquant d’armes, Matilda, l’aristocrate idéaliste, Colonel Diaz, le pirate informatique anonyme « no name, » Mark Townsend, le mutant intoxiqué à la virilité exacerbée et Wendel, le pathologiste. L’effet science-fiction est soutenu par les éléments visuels et sonores qui se déroulent à un rythme stupéfiant, un flot surchargé d’informations parodiant la narration concise du balado. Par contre, la vitesse de lecture à haute voix et la complexité du récit combinées aux dissonances entre le contenu visuel et la trame sonore créés par Simon Grenier-Poirier empêchent parfois de suivre le fil de l’histoire.

Wendel’s Institution est une performance marquante car elle met à nu une relation familiale ouverte et sincère où il est question d’empathie, de communication et d’échange intergénérationnel malgré la discorde idéologique. L’écriture collaborative de l’œuvre se fait sentir à travers les objections énoncées par Eddy et son oncle et les malaises qu’ils engendrent. Frustré par le gouffre politique qui existe entre lui-même et sa famille éloignée, Eddy conclut son balado sur un débat tenu lors d’un repas en 2017 avec les membres de la famille Kreger où ceux-ci défendent leur vision du monde et leur soutien à Donald Trump. Le ton de sa voix révèle ses vraies émotions et sa vulnérabilité lorsqu’il les confronte aux problèmes de racisme et de xénophobie au sein de la société américaine ainsi que le sexisme de son président.

La performance se clôt sur une diffusion continue en direct où l’auditoire est invité à se joindre à Eddy avec des remarques, des questions ou d’autres réflexions. Plusieurs interventions cryptiques et absurdes sont entendues et nous laissent perplexes sur leur fondement ; est-ce un appel planifié en extension de l’univers dystopique de Wendel’s Institution ou est-ce la communauté à l’écoute qui se prête au jeu ? Puisque les questions de relations intrafamiliales difficiles reviennent constamment, Eddy nous demande s’il y a une « solution » pour les divisions qui se forment entre certains individus. Un appel impromptu de Jeanne Randolph, critique culturelle canadienne et experte en théorie psychanalytique, vient mettre fin à l’évènement. La participation de cette dernière se fait rassurante, une voix septuagénaire présentant une vision optimiste du futur pour une génération de jeunes artistes comme Eddy en quête de savoir. Ici, Wendel’s Institution est à son meilleur, dévoilant des émotions vives autour de débats intergénérationnels et intrafamiliaux prenant place aujourd’hui dans une société divisée par des partis-pris et des considérations partisanes.

Didier Morelli, Michael Eddy

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