
Photo : Richard-Max Tremblay, permission de la Galerie d’art Foreman
Du 17 janvier au 17 mars 2018
[In French] Faire un pas de côté pour exalter le sublime Il suffit de lever les yeux vers le ciel pour qu’un ensemble de sensations, d’émotions et, surtout, de questionnements nous submerge. Se bousculant dans les psychés, différents états de conscience convergent vers un ultime sentiment : le vertige qui ne cesse de nourrir l’imaginaire, et sans lequel une grande partie des mythes fondateurs du monde n’existerait pas. Mais au-delà des récits mythiques, l’imagination titillée par l’immensité de l’univers est aussi à la base de la recherche scientifique : « [l’astronomie] progresse aux limites du savoir, réfléchissant sur le temps et l’espace dans des perspectives qui échappent à l’intuition et à la capacité de représentation », rappelle Gentiane Bélanger, commissaire de l’exposition collective Parallax-e présentée à la Galerie Foreman. Et pour peu qu’on s’y attarde, l’imagination vient pimenter bon nombre de notions complexes en astronomie : la matière sombre et les trous noirs ne sont que quelques exemples des images suscitées par la grandeur du firmament.
En regroupant le travail de sept artistes qui portent un regard singulier sur l’astronomie, Gentiane Bélanger propose avec Parallax-e un état des lieux du rapprochement entre pratiques artistique et scientifique. Ainsi, la notion de parallaxe ne saurait être plus appropriée pour guider la lecture des œuvres présentées. Avec sa résonance scientifique et philosophique, elle justifie la multitude des angles de perception des artistes sur leur objet ; elle est ce « pas de côté épistémologique qui bouleverse les lieux communs d’interprétation », pour citer la commissaire. C’est de perception, entre autres, dont il est question ici : perception sensorielle, certes, mais aussi perception historique, épistémologique, géographique, voire médiatique. Chaque œuvre propose un regard oblique sur la chose céleste magnifiant du même coup un aspect vertigineux qui participe à la construction d’un certain sublime propre à la nature et au cosmos.
Avec Women with Impact, Leavitt Crater, et Studies into the past – 1619, Bettina Forget et Laurent Grasso revisitent l’histoire de la science et de l’art. Alors que la première questionne la « colonisation du ciel » sous un angle féministe, le second porte un regard anachronique sur la connaissance et la représentation du ciel. Les deux artistes invitent à confronter ce qui semble normal dans l’histoire telle qu’elle est connue – la prédominance des noms masculins dans la nomenclature des corps célestes ou encore la représentation historique de phénomènes particuliers à l’imaginaire scientifique moderne – en mettant de l’avant des alternatives aux lacunes et aux idées préconçues.

Photo : Richard-Max Tremblay, permission de la Galerie d’art Foreman
Quant à Rachel Sussman, elle met à mal la ligne du temps qui place l’humain au centre de l’univers. En déplaçant le point de vue temporel anthropocentrique vers le deep time planétaire dans A Selected History of the Spacetime Continuum #2, l’artiste « sonde l’ancestralité du monde terrestre ». À cette temporalité difficilement mesurable où la nomenclature de la périodisation appartient à un champ sémantique qui relève du néant (Beginningless time, Dark era, etc.), font écho les projections vidéos Brilliant Noise et Black Rain. Réalisées par le duo Semiconductor, les deux œuvres s’intéressent aux archives mises à l’écart, à ce qui sort du cadre des recherches scientifiques. Les images sans filtres de particules solaires, agressantes et saccadées, sont présentées de façon brute en opposition aux images léchées auxquelles le grand public est habitué. Dès lors, déployer la recherche temporelle au-delà de l’humain et étendre les instruments de connaissance aux restes inutilisés ou défectueux, permettent à Sussman et à Semiconductor de poser un regard critique sur nos façons d’aborder la connaissance de l’univers.
Pour leur part, Nicolas Baier et Jean-Pierre Aubé interrogent l’espace du ciel en répertoriant astres et activités humaines. Dans Hublot et Pouponnière, Baier emprunte à l’histoire de l’art la forme du tondo pour simuler des hublots ouverts sur les étoiles. L’artiste s’est inspiré du catalogue des étoiles répertoriées et de la première carte intégrale du ciel pour offrir une vue d’ensemble de l’univers en un coup d’œil. L’œuvre dévoile ainsi l’état de la connaissance des cieux jusqu’à maintenant. Mais il suffit de restreindre l’angle du point de vue et de ramener le regard plus près de nous pour saisir l’ampleur du voile humain entre la terre et le ciel. C’est ce que propose Jean-Pierre Aubé dans un travail de documentation des trajectoires de satellites « espions ». Au ciel étoilé de Baier répond « l’autre ciel étoilé », « celui qui nous observe » pour reprendre les mots de Trevor Paglen et de Gentiane Bélanger.
Si les œuvres questionnent le discours scientifique qui sous-tend les recherches en astronomie, ses fondements, ses problématiques, son développement dans l’histoire, elles n’évitent en aucun cas de magnifier la grandeur et l’inconnu de la voute céleste, d’en faire ressortir le sublime. Ainsi, chaque démarche derrière les objets présentés témoigne de l’infiniment grand, de l’incommensurable, du vertige qui permet à l’imagination de s’emballer. Et c’est peut-être dans Météore Apocalypse de Julie Tremble qu’il est possible de saisir la pleine mesure des effets de l’imagination ; avec ses extraits de films catastrophe entrecoupés d’éléments tirés de documentaires scientifiques, la vidéo dévoile un discours des plus pessimistes face à la science, discours bien ancré dans l’imaginaire social. Pourtant, il suffit d’emboiter le pas de côté aux artistes pour sortir de ces « lieux communs d’interprétation » et réorienter notre perception de l’univers.