Matière sous influence / Mesmerizing Matter 

Gabrielle Marcoux
Galerie Lilian Rodriguez, Montréal
du 12 mai au 30 juin 2012
Matière sous influence / Mesmerizing Matter
Vue d'exposition, Galerie Lilian Rodriguez, Montréal, 2012.
Photo : Matias Garabedian, permission de la Galerie Lilian Rodriguez, Montréal
[In French]

L’exposition collective Matière sous influence / Mesmerizing Matter porte son nom à merveille. En effet, la matière vole la vedette et parvient à berner, à décevoir, à hypnotiser le visiteur. Si, comme le remarque le commissaire Réal Lussier, les dernières années ont été caractérisées par une effervescence et un renouveau dans l’art conceptuel, dans cette exposition on est happé dans un échange physique et sensoriel avec les objets exposés. Huit discours distincts nous révèlent les propriétés illimitées des matériaux, une fois sous l’influence de mains créatrices.

On reste stupéfait devant les œuvres Décantation et Sillage de Caroline Gagnon. Dans une mise en abyme mystifiante, l’encre de l’impression numérique reproduit l’empreinte de l’encre de chine. Tel un caméléon, le procédé numérique s’efface totalement pour donner l’impression de la présence réelle des gouttelettes qui se frayent un chemin dans une paroi poreuse, révélant ainsi la grande précision et le pouvoir confondant des procédés technologiques les plus récents. L’œil doit constamment se rajuster, fréquemment retourner à la fiche technique pour s’assurer qu’il s’agit bel et bien d’une empreinte mécanique et non pas naturelle.

Tel un enfant devant un stéréogramme, on s’approche et on s’éloigne des deux œuvres de François Simard, dans une tentative de décodage des formes colorées peintes sur des panneaux de marqueterie. Puis, l’œil se concentre sur la matérialité des différents types de bois utilisés et des accumulations de peinture, parfois translucides, parfois opaques et texturées. Dans un réflexe d’examen iconographique inévitable, l’esprit alterne entre la lecture des formes d’allure anthropomorphique et l’appréciation plus sensorielle des matériaux, qui se métamorphosent sous les ordres de notre imagination.

C’est après avoir vu les autres œuvres de l’exposition que le visiteur réalise le pouvoir illusoire du Pain de porcelaine et du Moellon brut de Chloé Desjardins, une jeune artiste qui a le vent dans les voiles. Ces sculptures d’apparence minimaliste cachent un nombre impressionnant de techniques et de matériaux : bois, pâte à modeler, porcelaine, plâtre, peinture, plexiglas… Tout ça pour ça ? Encore une fois, l’œil et l’esprit sont pris au piège, confondus par la matière. Dans une relation théâtrale et complexe, le spectateur établit un dialogue avec l’objet qui lui fait face afin d’en déterminer le statut : simplicité désarmante ou complexité astucieuse ? Objet banal du quotidien ou œuvre téméraire ?

Bref, l’exposition remplit son mandat. Le visiteur s’avère tout autant sous l’influence de la matière que la matière sous l’influence d’artistes qui la juxtaposent, la nient, l’exploitent, l’épuisent, lui font violence jusqu’à ce qu’elle devienne autre. Dans un grand hymne à la matérialité, les huit artistes expriment de façon tout à fait personnelle le pouvoir du tangible et du sensible sur l’œil, le corps et l’esprit.

Gabrielle Marcoux
This article also appears in the issue 76 - The Idea of Painting
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