L’Opéra de quat’sous

André-Louis Paré
Usine C, Montréal
du 24 janvier au 18 février 2012

Théâtre français du Centre national des Arts, Ottawa
du 28 février au 3 mars 2012
SibyllinesL’Opéra de quat’sous, 2012.
Photo : Lydia Pawelak
[In French]

En mettant en scène L’Opéra de quat’sous de Bertold Brecht, Brigitte Haentjens devait affronter un double souci. Celui d’abord de ne pas s’en tenir à un divertissement agréable à regarder. Déjà, de son temps, cette œuvre inspirée de L’Opéra des gueux de John Gay (1685-1732), avec ses chants mis en musique par Kurt Weill, allait rapidement devenir un succès. Il fallait donc conjuguer son côté vaudeville avec l’aspect pédagogique que ce théâtre populaire souhaitait proposer. Grâce à la complicité du traducteur Jean-Marc Dalpé, Haentjens a transposé l’action dans le Montréal de la fin des années 30. Victime d’un taux de chômage élevé, la ville fourmille alors de tripots, de cabarets de jazz et de maisons closes. À la fin de la pièce, le couronnement de la reine sera remplacé par la visite du roi Georges VI, venant ainsi dénouer l’intrigue.

L’intrigue tourne autour d’une confrontation entre Peachum (Jacques Girard) et Macheath, dit Mackie-le-Couteau (Sébastien Ricard). Avec sa Société « L’ami des mendiants », Peachum exploite les pauvres gens et contrôle jalousement son territoire contre Mackie, le roi des brigands. L’un exploite la misère humaine et le sentiment de pitié qu’elle suscite ; l’autre vole et tue sans trop avoir à s’inquiéter. Leur rivalité éclatera lorsque l’unique fille des Peachum, Polly (Ève Gadouas) avoue à ses parents son mariage avec Mackie. Craignant de perdre son lucratif commerce, Peachum manigance alors l’emprisonnement de son gendre. Toutes les magouilles sont bonnes pour faire prévaloir la loi du plus fort, loi qui s’éloigne de celle au fondement de la justice sociale.

Aux yeux de Brecht, l’homme est un loup pour l’homme. Avant le partage, il y a le désir égoïste et la satisfaction des besoins. « La soupe d’abord, ensuite la morale ! » rappelle un des chants magnifiquement orchestrés par Bernard Falaise et son groupe de musiciens. C’est encore plus vrai lorsque la morale n’est que le produit d’un État bourgeois avide de conserver ses prérogatives. À l’époque de Brecht, c’était l’expressionnisme qui en arts visuels incarnait l’esprit de révolte vis-à-vis de cette déroute spirituelle qui mènera au fascisme. Or, son théâtre, même distant par rapport à cette esthétique, n’en revendique pas moins la satire contre la misère sociale. Pour Haentjens, le second défi était de ramener le texte à son potentiel critique, de transmettre au spectateur des interrogations sur l’état du monde actuel. La récente crise financière, la gestion des fonds publics trop souvent teintée de corruption, l’indignation populaire que cela soulève lui donnent l’occasion de réactualiser ce théâtre pour le temps présent. Elle a su nous rappeler que le propos de Brecht se demandant avec désinvolture « de quoi vit l’homme ? » invite à prendre conscience des injustices sociales qui prévalent dans un système économique basé sur le profit.

André-Louis Paré, Sibyllines
This article also appears in the issue 75 - Living Things
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