Kapwani Kiwanga ;
Fieldwork for Future Ecologies: Radical Practice for Art and Art-Based Research

Kapwani Kiwanga Clément Dirié Première monographie consacrée à la pratique de Kapwani Kiwanga, cette publication propose un aperçu des thématiques récurrentes dans le travail de cette artiste depuis ses premières &oelig;uvres jusqu’à leurs plus récentes itérations. Suivant le déploiement de ses recherches dans des archives matérielles et immatérielles au fil des années, l’ouvrage esquisse avec finesse et poésie la pertinence et l’acuité de sa démarche. Kiwanga, qui a d’abord étudié en anthropologie, transpose les méthodologies de ce domaine pour provoquer des fissures dans les récits historiques coloniaux, mettre en lumière des histoires oubliées et invisibilisées, et créer de nouvelles possibilités de résistance face à la nature cohésive des archives. Photos : Pierre Tanguy, permission de JRP|Editions, Genève Ces incursions critiques dans l’histoire du colonialisme et ses dynamiques de pouvoir prennent forme dans la matière organique et la recherche archivistique, comme pour Flowers for Africa (en cours depuis 2013), où sont réinterprétés et exposés, jusqu’à leur dégradation, les arrangements floraux photographiés lors de cérémonies liées à la déclaration d’indépendance de pays d’Afrique. De même, son travail Glow (en cours depuis 2019) consiste en des sculptures grandeur nature faisant appel à une lumière verticale, en référence aux « lois sur les lanternes » (Lantern Laws) instaurées aux États-Unis au 18e siècle, qui imposaient aux esclaves de porter une lanterne quand ils et elles se déplaçaient la nuit sans être accompagné·es par une personne blanche. L’artiste usant de la lumière comme d’un matériau pour réfléchir à l’État de surveillance, son &oelig;uvre s’inscrit dans un questionnement plus large sur l’évolution contemporaine de ces technologies. Dans d’autres projets, comme la trilogie Afrogalactica (2011-2014), elle envisage plutôt un futur encore à venir, adoptant la figure d’une anthropologue qui raconte, avec des archives fictives et réelles, une mission d’exploration spatiale organisée par les États-Unis d’Afrique, État créé en 2058. Le catalogue comprend de brèves descriptions rédigées par Kathleen Ritter qui permettent de contextualiser la pratique de l’artiste et l’ampleur de ses recherches. Dans un autre registre, Omar Berrada poursuit les réflexions de Kiwanga dans un poème évocateur où il sonde les limites inhérentes aux archives et la violence qu’elles infligent aux histoires qu’elles ne retiennent pas. Ailleurs, Mélissa Laveaux propose un récit culinaire en partageant la recette de la soupe joumou, qui en est venue à symboliser la libération haïtienne. Des essais rédigés par de multiples auteurs et autrices parsèment également l’ouvrage, dont un texte de l’artiste, et offrent tour à tour des clés de lecture pour décoder les &oelig;uvres et expliciter les références qu’elles contiennent. Cette approche littéraire polyphonique à la pratique artistique de Kiwanga, où poésie, prose et essais se rencontrent, multiplie les points d’entrée de son travail et en étend la portée. Photo : Pierre Tanguy, permission de JRP|Editions, Genève Fieldwork for Future Ecologies: Radical Practice for Art and Art-Based Research Bridget Crone, Sam Nightingale et Polly Stanton Publié par les éditions Onomatopee, l’ouvrage Fieldwork for Future Ecologies: Radical Practice for Art and Art-Based Research reprend à son tour certaines thématiques et méthodologies typiquement associées à l’anthropologie. Scindé en trois parties, il permet d’entrevoir des perspectives décloisonnées sur la recherche et le travail de terrain (fieldwork) où pratiques artistiques et sciences sociales, biologiques et environnementales convergent dans une réflexion sur la complexité de l’époque anthropocène. Comme le soulignent les personnes qui ont dirigé l’ouvrage (Bridget Crone, Sam Nightingale et Polly Stanton), cette recherche ne peut être menée sans considérer les enjeux éthiques qu’elle soulève, en particulier dans des contextes marqués par des pratiques extractivistes abusives et la crise climatique. Dans le sillage de la philosophe Donna J. Haraway et du nouveau matérialisme, entre autres, les auteurs et autrices prônent des postures situées et enchevêtrées dans les lieux et les écologies de recherche qui tiennent compte de l’agentivité de la matière et du plus-qu’humain comme partie intégrante et constitutive du monde. Avec Fieldwork for Future Ecologies, ils et elles cherchent ainsi à élargir les horizons de la recherche en abandonnant les approches axées sur la spécialisation scientifique pour encourager des voix et des avenirs pluriels. Photo : permission de Onomatopee, Eindhoven La première partie de la publication, « Sensing & Sounding », rassemble des contributions théoriques et artistiques qui examinent l’enchevêtrement des contextes sociaux, économiques et écologiques à travers l’usage subversif de technologies de télédétection ou encore l’enregistrement sonore. Imani Jacqueline Brown, par exemple, propose le concept de « témoignage écologique » en utilisant des images satellites pour analyser les répercussions complexes des pratiques extractivistes sur les générations passées et futures autant que sur les écosystèmes. Partant de l’impact de l’ouragan Katrina et du déversement de Deepwater Horizon, elle retrace l’héritage colonialiste dans lequel ces évènements s’inscrivent, où un système d’exploitation permet l’implantation du suivant. Dans la partie « Grounding », les auteurs et autrices se penchent sur la relation entre l’individu et le territoire et explorent des histoires et des traces qui témoignent de l’extrême violence du colonialisme, notamment les ruines qu’il a engendrées. Ainsi, dans le texte « Bearing Witness », l’artiste Julie Gough relate le processus de réalisation de son &oelig;uvre, WITNESS, qui consistait à documenter et à visiter des eucalyptus, arbres jadis abondants qui se situent dans des lieux désormais privés en Tasmanie/Lutruwita. Témoins des violences commises à l’endroit des communautés aborigènes d’Australie, lesquelles ont été exilées de ces terres durant l’occupation britannique, les eucalyptus deviennent les dépositaires de la mémoire collective et des lieux de commémoration. Photo : permission de Onomatopee, Eindhoven La dernière partie de l’ouvrage, « Speculating & Modelling », propose à son tour des approches de recherche spéculatives et narratives afin de conceptualiser des sociétés futures extirpées de l’évolution projetée du présent ou qui, au contraire, en suivent l’arc narratif jusqu’à son implosion apocalyptique. Cet angle se retrouve dans la fiction « Scenes from the Coastal City » de l’Alliance of the Southern Triangle, qui se déroule dans un avenir postérieur à l’inondation glaciaire – avenir où la Floride, submergée, s’adapte en construisant de nouvelles habitations résistantes à la montée périodique des eaux. Les dialogues cyniques et acerbes entre les protagonistes révèlent un mode de vie où la toxicité de l’environnement est contournée plutôt que traitée, intégrée à un système de contrôle et de surveillance. Bien qu’il soit divisé en trois parties, chacune comportant sept champs d’investigation, l’ouvrage ne cherche pas à dresser un portrait exhaustif ou homogène des recherches qui y sont menées. La singularité et la puissance des projets qu’il renferme invitent à la réflexion et à une lecture attentive et incitent à porter cette même attention aux histoires et aux mondes qui nous entourent. Titulaire d’une maitrise en esthétique et philosophie de l’art de l’Université Paris-Sorbonne, Kaysie Hawke est travailleuse culturelle et autrice. Elle s’intéresse aux rencontres entre l’environnement, la philosophie et l’art actuel. Kapwani Kiwanga, Kaysie Hawke

Kapwani Kiwanga ;
Fieldwork for Future Ecologies: Radical Practice for Art and Art-Based Research

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