Jean-François Lauda

Serge Murphy
Battat Contemporary, Montréal,
du 19 septembre au 26 octobre 2013
Jean-François Lauda, b.3, 2013.
Photo : Eliane Excoffier, permission de Battat Contemporary, Montréal
[In French]
L’exposition de Jean-François Lauda tenue à l’automne 2013 chez Battat Contemporary regroupait trois grands tableaux et dix-neuf petits. Ces derniers se présentaient en une suite, à l’horizontale, comme les pages d’un livre qui raconterait une manière de faire de la peinture aujourd’hui. Les grands tableaux, eux, pouvaient être vus comme des agrandissements ou comme des propositions nécessitant un plus grand terrain.

L’œuvre de Lauda puise à plusieurs sources liées à l’histoire de la peinture et de la peinture abstraite en particulier. Chez Lauda, le tableau est un laboratoire, un lieu pour peindre, une surface sur laquelle se déploie un champ d’expérimentation. Chacun des tableaux offre au regard une infinité de surfaces superposées où les formes se côtoient dans une sorte de danse intuitive. Les formes apparaissent, entraperçues en arrière-plan, ou au contraire s’imposent, distinctes, au premier plan, insistant ainsi sur les liens qu’elles entretiennent. Entre superposition et juxtaposition, ce qui est montré fluctue et s’imprime en une image flottante, instable pour le regardeur.

Jean-François Lauda, b.10, 2013.
Photo : Eliane Excoffier, permission de Battat Contemporary, Montréal

On ne peut commenter cette œuvre sans en souligner la dimension temporelle. Chez Lauda, tant la manière que le résultat posent la question de la durée. Tout ici pointe vers la volonté, consciente ou non, de nommer le processus, de révéler la genèse du tableau, de glorifier les traces comme éléments d’un temps révolu. Ces surfaces font s’enchevêtrer des formes géométriques improbables et complexes (on ne voudrait pas devoir en calculer l’aire !), offrant au regard une mélancolie certaine. L’organisation aléatoire et la liberté déployée sont ici des marqueurs importants de l’œuvre. Cette liberté s’affirme aussi par la multiplication des couches de couleur, des renvois et des taches de doigts bien présentes sur les bords du tableau.

Chez Lauda, la forme et le fond se confondent fréquemment. Ils se disputent l’espace en un long duel. Dans le tableau b.3, par exemple, l’apparition au premier plan d’une forme jaune, rectangulaire et verticale, confirme, au prix d’une longue bataille, la primauté de la forme sur le fond.

On peut aussi apprécier l’aspect anecdotique de cette œuvre. Ici des taches impertinentes, là des formes à géométrie variable viennent contredire le plan général.

Souvent, Lauda souligne le contour de son tableau par un trait ou par des marques qui agissent comme des repères formels, délimitant ainsi le territoire où se réalise l’expérience. Les bords salis du cadre gardent aussi en mémoire les couleurs qui ont disparu sous la couche finale, l’artiste révélant sa manière pour mieux nous faire participer à son laboratoire. Pour le peintre comme pour le regardeur, le caractère éminemment expérimental de l’œuvre est central. Entre marquages et effacements, apparitions et disparitions, formes solides et diffuses, Lauda nous invite à l’accompagner dans un temps devenu image.

Jean-François Lauda, Serge Murphy
This article also appears in the issue 80 - Renovation
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