Non au oui, pour «autrement»

Johanne Chagnon

[In French]

L’après-26 octobre
Depuis la parution du dernier numéro de ESSE, certains événements ont lieu au Québec, un certain 26 octobre. Considérons le type de discours qui nous était alors proposé, et puisque la binarité semble à l’honneur ces temps-ci (et les référendums également), procédons par colonnes : OUI – NON. Mais pour contrer l’impression désagréable de tourner en rond, permettons-nous d’en ajouter une troisième que nous appellerons L’AUTRE. Celles du OUI et du NON correspondant à quelques éléments du projet social des deux options qui se sont affrontées lors de la campagne référendaire québécoise, celle de L’AUTRE étant d’à-côté, l’autrement, qui suppose un changement de pensée en profondeur. Au moment où le paysage mondial se fendille – des frontières bougent, des pays sont en redéfinition (même notre page couverture semble en avoir subi les répercussions) – nous ne faisons que colmater les brèches. Ce travail est inutile parce que toujours à recommencer. À l’image d’une personne qui s’acharne à construire et reconstruire sans cesse une maison avec les mêmes matériaux que l’ancienne, à l’endroit même où la brèche s’est faite, au lieu de construire une autre maison, à côté, sur un terrain stable.

Pendant ce temps… et en rapport avec les événements qui ont ébranlé le Québec : nous avons été «positivement» en faveur du NON. Pour ne pas céder au chantage de la peur, pour ne pas accepter de mettre un point final au désir de se prendre en main, pour afficher pleinement notre confiance en nous-mêmes. Par contre, quel choix avions-nous! Les choses n’étaient pas aussi simples.

OUI
Les arguments du OUI portaient toujours sur le rendement économique : atteindre la plus forte croissance, afficher le plus bas taux d’inflation, et autres plus plus;
NON
les adeptes du NON partageaient les mêmes buts, soit une plus grande force économique, quoique obtenue avec davantage de pouvoirs de décision.
AUTRE
Pourquoi tant s’échiner et ne pas être simplement ce que nous sommes, au mieux? “Deviens ce que tu es”, disait Nietzsche.

OUI
De toute façon, même le discours économique est biaisé et n’a plus de valeur scientifique : ainsi une banque aurait des visions de chaos,
NON
alors qu’à partir des mêmes données, d’autres économistes pensaient le contraire.
AUTRE
On pourrait plutôt offrir un modèle de développement au niveau mondial, se fixer comme objectif, par exemple, d’éliminer la pauvreté et d’y concentrer tous les efforts, y compris ceux engloutis dans la défense militaire.

OUI
Le discours politique du OUI était déconnecté : les vrais problèmes des gens (se trouver un emploi…) étaient évacués;
NON
et c’était la même chose dans le camp du NON.
AUTRE
Souvent, les propos les plus intéressants sur ce débat proviennent des gens autour de nous, et ces propos tiennent compte des contingences de la vie quotidienne.

OUI
Les OUI misaient sur une campagne de peur, sur la désinformation,
NON
alors que les NON agissaient défensivement.
AUTRE
à quand un discours affirmatif, qui affiche une confiance en soi, en toute conscience?

OUI
Bourassa représente une classe élitique
NON
Parizeau de même (tous deux sortent d’ailleurs des mêmes écoles de formation).
AUTRE
Il faut changer la vision de l’histoire, car celle-ci découle du regard de ceux qui ont le pouvoir.

OUI
Dans tout cela, il y a maintien de la structure de pouvoir telle qu’elle existe,
NON
et cette structure n’est jamais remise en question.
AUTRE
Il faut changer cette notion même de pouvoir, car même si les individus sont remplacés, ils sont toujours pris dans la même structure qui, elle, ne change pas.

Constat : OUI ou NON, c’était presque du pareil au même. Il faudra repasser pour avoir un véritable choix. Le OUI et le NON relevaient d’un même débat, suscité par une forme d’exercice de la gestion gouvernementale qui repose, elle, sur un type très particulier du maniement du pouvoir. Et si ce débat nous a tous conduits dans cet épouvantable cirque que nous avons vu, vers un gaspillage si éhonté des fonds publics, vers cette impasse qu’il fallait refuser, c’est à cause de ce type d’exercice du pouvoir. Un type traditionnel, qui cherche davantage à protéger les intérêts de ceux et celles qui le détiennent qu’à imaginer et à réaliser un projet de société. Un type de pouvoir qui cherche à imposer pour gouverner. N’est-il pas symptomatique que les acteurs/trices de notre paysage politique soient les mêmes que voici 20 ans?

55,4 %, voilà le résultat du vote NON au Québec. Ce qui aurait pu être un moment historique important pour le Québec s’est avéré une grosse baloune. Nous ne croyons pas qu’il y ait vraiment raison de se réjouir, et savons pertinemment que nous sommes revenu-e-s à la case départ. Le seul avantage de ce référendum aura été que, pour une fois, Canadians et Québécois-e-s avons été d’accord sur un point : désavouer la classe politique. La confiance est en perte de vitesse envers les politicien-ne-s qui se révèlent des administrateurs/trices de «ventes de garage», sans envergure.

Nous avons donc voté NON dans l’immédiat, en attendant… Car nous ne pouvons pas agir seulement dans la marge, la troisième colonne. Nous devons être vigilant-e-s sur tous les plans. Pendant que se poursuit le travail sur L’AUTRE. S’il n’y a pas d’alternative, il faut s’en créer une. Sinon, imprégné-e-s comme une éponge de la structure en place, nous ne pourrons que contester ce dans quoi nous sommes pris-e-s. Mais agir n’est pas chose simple aujourd’hui, comparativement à une autre époque. Si on se réfère, par exemple, à l’expérience de la revue Parti pris (1963-1968), on constate que l’équipe de cette publication pouvait clairement s’afficher indépendantiste, laïque et socialiste. Trois points bien définis. Alors qu’aujourd’hui… quand le NON veut dire OUI… À ce sujet, il est cocasse, quoique plutôt décourageant, de lire cette phrase de Jean-Marc Piotte dans un article intitulé «Du duplessisme au F.L.Q.» (Parti pris, octobre 1963, p. 29) : «Tout pouvoir concédé par Ottawa sera, pour nous, toujours insuffisant et pour les Canadians, la dernière bonté consentie à un peuple tapageur et tracassier.» Trente ans sont passés depuis… Que s’est-il donc passé?

La nouvelle politique culturelle du Québec

Depuis la dernière parution de ESSE, dans laquelle le dossier sur le «post-rapport Arpin» faisait un constat douloureux de l’état de la culture au Québec, il y a eu dépôt de la politique culturelle promise par la ministre Frulla-Hébert. Cette politique tant débattue et attendue n’est encore que des mots sur papier et n’apporte pas de changement à notre position : elle n’est que de la poudre aux yeux pour masquer la direction contraire qu’a prise le gouvernement en matière culturelle. Nous voudrions bien croire aux promesses de cette politique, mais il nous faut des preuves tangibles. Qu’on nous prouve que la culture est pour le gouvernement un élément important de notre développement. Ce n’est pas ce qui nous a été fourni lors des négociations en vue de l’entente constitutionnelle, lorsque la culture a été «oubliée»! et qu’il a fallu régler cette question en l’ajoutant en vitesse, par fax, un samedi après-midi…

Les arguments, qui ne manquent pas, défont la beauté toute en fausses paillettes de cette politique culturelle québécoise. Ainsi, il est présentement offert aux périodiques culturels des sessions de formation en gestion, dans le cadre des activités du Fonds de développement des industries culturelles (FOIC) en collaboration avec la Commission d’initiative et de développement culturels (CIDEC) et la Banque fédérale de développement (BFD). Et ces séminaires, tenus dans une chic salle du chic hôtel Holiday Inn, ont pour but de nous avertir que les subventions gouvernementales, déjà largement amputées, devront peut-être disparaître d’ici cinq ans!! Et ces subventions, parlons-en! Le ministère n’a pas encore nommé depuis deux ans de titulaire pour le dossier des périodiques culturels, si bien que les demandes de subventions déposées en mai 1992 n’avaient toujours pas été examinées en septembre…

Selon le schème adopté (OUI – NON – AUTRE), voici ci-contre ce que nous pouvons dégager de cet imbroglio.

OUI
La politique culturelle québécoise a été bien accueillie par certaines personnes qui, sur un ton franchement délirant, pensent qu’elle constitue un avancement. Exemples : Lise Bissonnette, Le Devoir du 26 août 1992 : «La ministre des Affaires culturelles mérite une ovation. […] on devrait à l’unanimité, lui offrir des lauriers. Elle fait avancer les choses» ; Bernard Boulad, Voir du 25 juin au 1er juillet 1992 : «C’est en fait, ni plus ni moins, à un changement de mentalité que nous invite Mme Liza Frulla-Hébert, pour ne pas dire à une révolution culturelle»,
NON
bien que nous soyons toujours à la case départ d’il y a 30 ans.
AUTRE
Il faut changer le type de pouvoir politique actuellement en place. Tant que notre système culturel y sera associé, il ne pourra y avoir grand développement.

OUI
D’une part, les intervenant-e-s du milieu se disent favorables au Conseil des arts du Canada – c’est ce qui ressort des témoignages livrés lors des audiences sur le rapport Arpin –,
NON
alors qu’ils/elles considèrent comme une horreur que de laisser au MAC le soin de rapatrier des pouvoirs culturels. Si le passé est garant de l’avenir, on peut en effet avoir très peur !
AUTRE
Les arts doivent être autre chose qu’une volonté de plaire à qui promet la manne de bonbons. Au contraire, il faut développer une solidarité que seul apportera un profond changement social. IL faut nous libérer de cette compétition malsaine qui mine même le milieu des arts. Savons-nous au moins ce qu’est la démocratie culturelle ?

OUI
D’autre part, ces mêmes intervenant-e-s donnent leur appui à Québec, ce qu’a fait dernièrement le Conseil québécois du théâtre (la carotte des millions promis par la ministre lors du dépôt de sa politique culturelle fonctionne très bien merci),
NON
alors qu’il a décidé en même temps de boycotter le Conseil des arts parce que les fonds attribués au théâtre sont gelés.
AUTRE
Tiraillements stériles… Pendant ce temps, la ministre se tient silencieuse comme un tombeau…

Et que propose ESSE ?

Et que propose le présent numéro de ESSE, devant cet incroyable brouet infect qui ne provoque que des flatulences culturelles ? (La colonne AUTRE exprime ici ce que proposent les articles.)

À noter d’abord une recherche de formes variées : un dossier au ton subjectif, un conte, une lettre, une courte pièce de théâtre, une entrevue qui entrecoupe et prolonge un article, une BD, une recherche historique… Cela témoigne d’une recherche en cours à la revue qui a pour but de refléter la diversité des individualités au sein d’une réflexion collective, avec une volonté d’être fidèle à soi-même, de s’ouvrir aux libertés.

Le DOSSIER, «Une drôle d’histoire trop triste pour ne pas en rire» d’Anne Thibeault en de Sonia Pelletier, s’ajoute à la série d’articles qu’ont suscités les propos de Jacques Dufresne et Jean-Claude Leblond dans La Presse à l’automne 1991, et de Geneviève Picard dans la revue MTL en novembre 1991. On en trouvait d’ailleurs un écho dans le dernier ESSE, sous la plume de Carole Brouillette. Pourquoi poursuivre encore ce débat ? Parce qu’il touche à un malaise profond et qu’on ne peut tourner trop rapidement la page sur ce qu’il soulève. Et aussi parce que c’est une belle occasion d’essayer de penser autrement.

OUI
Les articles de Dufresne et Leblond qui ont parti le bal ont consisté en un dénigrement en règle du système des arts visuels ;
NON
les textes qui ont suivi ont consisté en réponses à ces attaques.
AUTRE
Les auteures du DOSSIER ont tenté de sortir de cette ornière ; elles ont constaté qu’on critique beaucoup, mais qu’on ne parle pas d’art, qu’on en occulte le contenu.

OUI (suite)
Ces articles relevaient d’un discours qui aime pontifier sur le système, sans jamais s’impliquer. Selon Leblond, les artistes de l’UQAM ont été accusé-e-s d’être une «bande d’étudiants qui, sans esprit critique suffisamment développé et le crâne bourré de succédanés de théories, sont incapables de faire la part des choses et qui, l’intérêt carriériste aidant, donnent dans le système sans discernement». Accusé-e-s en somme de débilité avancée ;
NON (suite)
à l’UQAM, 27 artistes ont eu l’opportunité, dans le cadre d’une exposition (rens. 499-0443), de répondre publiquement aux accusations de Leblond. Ils/elles affirmèrent qu’une exposition faisant écho à ces débats risquait d’être manipulée ! Mais par qui… ?
AUTRE (suite)
Les points de vue exposés dans ce DOSSIER sont très subjectifs ; ils expriment de façon personnelle ce qui est vécu de l’intérieur.

OUI
Dans ce débat, on parle d’art en opposant figuration et abstraction ;
NON
On a beaucoup remis en question le système d’attribution des bourses, monopolisé par une clique ; certains artistes ont déploré l’écart entre les générations.
AUTRE
Figuration/abstraction, aujourd’hui ? On se demande bien de quoi on parle ? Y aurait-il moyen de bâtir un milieu plus solidaire ?

Dans la chronique MONTRÉALITÉS, Sylvie Raquer traite d’un événement multidisciplinaire, la Fou-Art. L’écrit y côtoie le parlé : de type reportage, l’article est entrecoupé d’une entrevue d’Anne Thibeault avec l’auteure dans laquelle Anne amène Sylvie à compléter son propos d’une façon plus subjective.

OUI
La Fou-Art se voulait un bouillonnement créateur, une euphorie, une fête, la mise en commun d’énergies, bref l’affaire la «plus plus…» ;
NON
mais on a rencontré de nombreuses difficultés.
AUTRE
Il faut davantage de solidarité (encore !) et d’implication de la part de chacun-e, et relancer le débat en considérant cette fois-ci les valeurs.

Dans la chronique COMMENTAIRES, Sylvain Latendresse nous a écrit au retour d’un voyage à Paris. Le récit d’une expérience vécue s’allie au ton plus détendu de la forme épistolaire.

OUI
Selon le projet de politique culturelle québécoise, il est question, entre autres, d’exporter notre potentiel artistique ;
NON
cela reste une belle promesse politique : on ne fournit pas encore les moyens nécessaires, et les employé-e-s des Services culturels du Québec à Paris doivent se démener dans des conditions difficiles.
AUTRE
À cet égard, ce qu’on apprend est plus révélateur que n’importe quel discours officiel. Vu les expériences vécues à Paris par certains artistes, on peut croire que l’«exportation du potentiel» ne passera pas par la filière politique.

Dans la chronique Portrait, Luis Neves nous fait le travail de Pierre Sirois (Siris). Pratiquer la bande dessinée au Québec est une aventure assez difficile; c’est pourquoi il est important de mieux faire connaître les bédéiste d’ici. Par contre…

OUI
Pendant que les gros éditeurs, européens et américains, contrôlent l’édition de la bande dessinée,
NON
La revue québécoise Mac Tin Tac, à laquelle collabore Siris, cherche à survivre en partant à la conquête du marché américain en anglais.
AUTRE
Pourquoi ne pas plutôt essayer d’améliorer la situation ici? Sinon, pourquoi continue-t-on? On ferait aussi bien de fermer le Québec et déménager.

Dans la nouvelle chronique GOSSAGE, Paul Grégoire poursuit dans ESSE la publication de Alzheimer social, une série de courts actes théâtraux commencée dan Journal art, maintenant disparu. L’acte 8 est d’à-propos dans le contexte actuel des revendications, où on suppose que le public est prêt à défendre «ses» artistes.

OUI
Alors que certains mythes sur l’art ont la vie dure,
NON
– trou de mémoire –
AUTRE
L’auteur ne craint pas de questionner ce rapport art/public.

Dans la chronique DOCUMENTS, André Landry fait œuvre de réhabilitation : il reconnaît l’influence de deux religieux qui ont marqué l’enseignement des arts au Québec avant les années 50.

OUI
À la suite du Refus Global, et selon les canons de l’histoire officielle, on a jeté par-dessus bord les réalisations antérieures,
NON
et on a continué ainsi après la Révolution tranquille.
AUTRE
Pourtant, il avait existé un enseignement qui n’était pas l’œuvre d’incultes sans pratique artistique.

Le dixième épisode de la BD Cité solitaire de Luis Neves poursuit l’évocation de l’année 1968.

OUI
Violence, guerre…
NON
Contestation, manifestations…
AUTRE
Il faudra laisser de notre époque un souvenir plus réjouissant.

Mais heureusement, comme le dit Sonia Pelletier dans le DOSSIER, que nous vivons une époque formidable. S’il est vrai que les mots sont galvaudés, qu’ils changent de sens comme on change de chemise, que de nos jours le OUI veut dire NON et le NON, OUI… tout est quand même possible, en y mettant du cœur. Ensemble. Sans se taper sur la tête. Assez, c’est assez!

Johanne Chagnon
This article also appears in the issue 21 - Une drôle d'histoire
Discover

Suggested Reading