Dans l’atelier de Berirouche Feddal

Nicholas Dawson

Berirouche-Feddal
Photos: Alexandra Dumais
[In French]

Entrer dans l’atelier de Berirouche Feddal, c’est entrer dans sa communauté – l’espace est partagé avec des personnes dont il est très proche –, et c’est dans cette communauté toujours grandissante qu’il m’invite à habiter le lieu avec lui. Le lieu, ce n’est pas que cette vaste pièce lumineuse : c’est aussi tout l’univers affectif et culturel de son travail, qu’il résume en un seul mot surprenant : « autoportrait ». Si les visages sont nombreux dans ses œuvres, le sien n’apparait que très rarement ; c’est que toutes ces figures superposées répondent à un flux de pensée tout personnel, aussi instinctif que politique, à des réflexions constantes qui l’amènent à retourner à divers endroits : à des photos d’archives de son Algérie natale, à des objets appartenant à la mémoire familiale, à des souvenirs intimes cristallisés dans des artéfacts inusités, à ses propres œuvres abandonnées dans des tiroirs pendant des années, à des ouvrages littéraires de toutes sortes, à des contes et poèmes issus de la tradition orale kabyle ou à des héro·ïnes de la culture populaire et du sport, dont il parle avec la passion de l’historien. Voici donc la porte d’entrée de l’atelier de Berirouche, voici donc comment lire son travail foisonnant, disséminé, instable : comme le grand autoportrait psychique et politique d’un historien prêt à transmettre tout son savoir.

Histoire, mémoire et baguettes magiques

Parmi le désordre, des sérigraphies sont accrochées au mur, et quelques-unes trainent sur le sol. Certaines sont brulées par endroits, d’autres demeurent intactes, presque trop nettes pour être perçues comme des œuvres à part entière. On se doute bien que rien n’est encore fini, que les surfaces subiront les effets du feu et de toutes sortes de dégradations volontaires – particulièrement celles sur lesquelles apparait le visage de la Belle Fatma, danseuse des Folies Bergères qui personnifiait de façon très exotisante Lalla Fatma N’Soumer, une figure du mouvement de résistance algérien du 19e siècle. Ces procédés, cependant, ne détruisent pas ; ils redonnent à ces personnages une présence qu’ils avaient perdue au cours de l’histoire, tout en révélant les failles et les nœuds avec lesquels on doit composer lorsqu’on travaille avec la mémoire. Effacement, évidement, pillage, dévastation et autres formes de destruction sont le propre de l’histoire coloniale à laquelle renvoie la majorité des œuvres de Berirouche jusqu’au choix des matériaux, jusqu’à la manière dont ils sont manipulés, tressés d’hybridités pour honorer la part affective de récits beaucoup trop complexes pour qu’ils soient racontés simplement. Cela, Berirouche l’a compris ; c’est une voie sinueuse qu’il emprunte avec une confiance extraordinaire, mais aussi avec patience.

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