Jean-Michel Leclerc, La survivance, l’intelligible et l’éphémère dans la matérialité : Les Sessions de la Paix

Laurence Garneau
Jean-Michel LeclercLes Sessions de la Paix, vue d'exposition, Centre CLARK, Montréal, 2015.
Photo : Paul Litherland, permission de l'artiste
[In French]

Pour son exposition solo Les Sessions de la Paix, présentée au Centre CLARK l’hiver dernier, Jean-Michel Leclerc s’est engagé dans un combat contre l’invisible en employant les richesses de la matière. C’est en dépoussiérant de vieux documents, la plupart issus de fonds d’archives montréalais, que Leclerc, au nom des victimes de l’inquisition de La Cour des Sessions de la Paix (Québec, 1764-19881 1  - Plamondon, J. (2013). Capsule historique : Cour du Québec. Les juges de la paix dans le système judiciaire québécois. Tribunaux judiciaires du Québec. Récupéré le 17 avril 2015 de http://www.tribunaux.qc.ca/c-quebec/25ans/CapsuleHistoireCQ25ans_6.pdf Les juges de la Paix étant des citoyens élus par le lieutenant-gouverneur, possédaient le pouvoir de se prononcer sur des « actes d’accusation » transgressant le code criminel, législation qui en certaines circonstances s’avérait discriminatoire.), insuffle une deuxième vie aux oubliés par le temps. Leclerc éveille les souvenirs enfouis de la ville de Montréal. Il représente ce qui n’est pas ou plus visible et interroge les mécanismes historiographiques de la société afin de déjouer le récit dominant construit selon des normes contraignantes.
Jean-Michel Leclerc
Sans titre (Roswell George Mills / Elsa Gidlow), 2015.
Photo : Paul Litherland, permission de l’artiste

Deux sobres portraits, d’une femme et d’un homme, sérigraphies imprimées sur une toile de petite taille, accueillaient les visiteurs. Ces épreuves photographiques tirées de documents d’archives évoquent la forme elliptique et la texture du grain vieillot d’anciens clichés. En dressant ces portraits, Leclerc désire charger la matière d’un aura, « [l] a présence à laquelle [il] s’intéresse est de l’ordre de la métaphysique, de l’invisible. Ce qu’[il] cherche à capter, c’est l’essence, l’empreinte spirituelle laissée par le vivant après sa disparition2 2 - Fortier, K, Tanguay, K, Leclerc, J-M, Dufort, K et Provencher, E. (2011). New City Gas, Montréal. Entre deux feux. [Catalogue d’exposition]. Montréal : Éditions de l’École des arts visuels et médiatiques de l’UQAM. p. 16. ». Les protagonistes représentés commémorent une communauté homosexuelle montréalaise émergente, associée à la revue de poésie Les mouches fantastiques (1918-1920), fondée par George Mills et Elsa Gidlow, deux littéraires ayant affirmé publiquement et avec audace leur identité sexuelle. Dans Sans titre (Roswell George Mills/ Elsa Gidlow), Leclerc réaffirme sa volonté de préserver le souvenir des défunts ; les spectres des auteurs prennent vie dans l’esprit du visiteur. Ainsi se dégage une puissance de la matière qui incarne les traces d’un autrefois, puisque, pour reprendre les mots de Georges Didi-Huberman, il « suffit de regarder la texture même de cette impureté pour y comprendre le travail complexe du temps [,] […] le temps [étant] à même la matière des choses3 3 - Didi-Huberman, G. (2000). Devant le temps. Histoire de l’art et anachronisme des images. Paris : Éditions de minuit. p. 107. ».

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This article also appears in the issue 85 – Taking a Stance - Taking a Stance
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