Judith Klugerman
Images de Crète

Lucile Pages
Galerie Circulaire, Montréal
du 28 avril au 2 juin 2012
Judith Klugerman Crète L-LI-LII, 2011.
© Judith Klugerman / SODRAC 2012
Photo : Daniel Roussel, permission de l'artiste et de la Galerie Circulaire, Montréal
Judith Klugerman présente à la Galerie Circulaire son travail inspiré des paysages de Crète. Ses œuvres grand format attirent par leur originalité : ce sont de grands tissages, paisibles, à la fois fixes et mouvants. Mais une fois devant les œuvres, le mystère s’estompe, laissant place à une réelle admiration pour le savoir-faire et la minutie de l’artiste. Sur un grillage géométrique suspendu, Klugerman tisse des bandes de papier horizontales découpées dans des œuvres en taille douce et collagraphie.

C’est donc par fragmentation que l’artiste compose. Elle lie sa pratique à l’artisanat crétois et valorise ce savoir-faire en le rendant visible aux spectateurs. Ses paysages abstraits rappellent les tissages géométriques crétois également dans leur rapport avec le spectateur, qui cherche un système de représentation dans toutes ces formes entrecroisées pour finalement se laisser guider par les jeux de lignes et de couleurs.

L’artiste s’éloigne cependant de cet artisanat par l’incroyable variation de couleurs, de formes et de textures qu’offrent le découpage naturel de la grille et l’assemblage de différentes œuvres. Alors que leur structure et leur composition sont strictement géométriques, les œuvres dégagent une expressivité intense. Certains rubans de papier, prélevés sur des gravures en taille douce, révèlent une abstraction de lignes noires, nerveuses et très graphiques et dégagent une grande émotion. On peut se perdre dans ce labyrinthe de formes, ou reculer, se reposer et flâner encore dans la sérénité de l’ensemble.

Quelques petits formats sur papier complètent l’exposition. Même si leur composition plus aride tranche avec celle des grands formats, l’expressivité de l’artiste en tapisse le détail. On retrouve les traits nerveux de la taille douce, et le jeu subtil des superpositions qui complexifie la composition. Dans Crète XLIX, l’artiste travaille toute la surface de la grille en variations, obsessionnellement, sans jamais en quitter l’espace. Les deux tiers inférieurs de la composition sont composés presque exclusivement de variations géométriques, tandis que des lignes noires nerveuses, presque organiques, découpent le fond de la partie supérieure et perturbent l’ordre établi.

Pour Rosalind Krauss, dans un article paru en 1981, la grille est la plus impressionnante réalisation du modernisme, mais aussi l’élément qui a replié les arts visuels sur eux-mêmes. Klugerman dépasse la bidimensionnalité et l’« antimimétisme » de la grille pour créer dans ses œuvres ce que Clément Greenberg appelle un « espace optique » : on se promène dans cet espace abstrait et bidimensionnel avec la même aisance que s’il était réel. Seul le corps n’y est pas projeté. C’est finalement ce qui caractérise le travail de l’artiste : un immense savoir-faire qui nous ancre dans la matière, mais aussi une incroyable sensibilité qui nous élève dans un espace virtuel, à la fois poétique et chaotique.

Judith Klugerman, Lucile Pages
Cet article parait également dans le numéro 76 - L’idée de la peinture
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