3 expositions en région

Anne-Marie Dubois
Galerie d’art Foreman de l’Université Bishop’s, Sherbrooke
Du 19 janvier au 11 mars 2017

Musée d’art de Joliette, Joliette,
Du 4 février au 30 avril 2017

Centre d’exposition Expression, Saint-Hyacinthe,
Du 11 février au 23 avril 2017
Galerie d’art Foreman de l’Université Bishop’s, Sherbrooke
Du 19 janvier au 11 mars 2017

Musée d’art de Joliette, Joliette,
Du 4 février au 30 avril 2017

Centre d’exposition Expression, Saint-Hyacinthe,
Du 11 février au 23 avril 2017
Preuve indélébile du dynamisme artistique régional, ces trois expositions en périphérie de Montréal ne manquent pas de justifier à elles seules quelques sorties culturelles hors de la métropole. Si toutes trois font la part belle à la notion d’identité, chacune a le mérite de la traiter fort différemment, effleurant au passage la philosophie posthumaniste, l’autobiographie et les études animales.

Vivre ensemble : The Connections
Galerie d’art Foreman de l’Université Bishop’s, Sherbrooke, du 19 janvier au 11 mars 2017

Assumé conjointement par Gentiane Bélanger et Zoë Chan, ce commissariat bicéphale donne d’entrée de jeu le ton fédérateur à cette exposition qui réunit Caroline Boileau, Lucie Chan, Aleesa Cohene, Pierre Durette, Shié Kasai, Leisure (Meredith Carruthers et Susannah Wesley), Marc Ngui, San Taylor-Johnson et Caroline Monnet. Fruit d’un travail collaboratif de longue haleine (plus de deux ans) entre les deux commissaires, l’exposition réfléchit à la notion d’altérité en prenant pour point de départ un article scientifique qui examine un changement de paradigme dans notre compréhension de la biologie humaine. D’abord étudié en tant qu’organisme autonome et autosuffisant, le corps humain est aujourd’hui appréhendé comme participant d’un écosystème hétérogène complexe investit par le non-humain. Impossible désormais de concevoir l’humain sans prendre en compte ces autres qui l’habitent et desquels il est tributaire.

C’est donc autour de cette prémisse que s’est cristallisée l’idée d’une exposition de groupe rassemblant une pléthore d’œuvres aptes à mettre en lumière ses enjeux identitaires informés par le multiple et l’hybride. Plusieurs d’entre elles invoquent ainsi de manière ciblée, voire engagée, certaines thématiques satellitaires à l’identité telles que l’autochtonie et le colonialisme, l’agentivité ou l’intersubjectivité. Ces productions mettent en scène des récits qui abordent la performativité de soi dans des contextes de déterritorialisation, empruntant aux registres de l’intime et du social leurs potentiels politiques. D’autres vont plutôt privilégier des stratégies formelles ou iconographiques de manière à évoquer des corporalités fragmentaires, hybrides et rhizomiques, questionnant par ricochet notre propension à se percevoir comme entité autonome et souveraine. La pluralité des médiums employés dans Vivre ensemble : The Connections joue également de l’efficacité et de la cohésion conceptuelle et formelle de l’exposition. Installations, vidéos, sculptures, toiles et dessins semblent ainsi se répondre dans l’espace à la manière d’un organisme protéiforme, chacune de ses composantes étant indispensable au sain fonctionnement de l’entité toute entière.

Déjà forte des œuvres qui la constituent, l’exposition est enrichie d’un opuscule très articulé dans lequel Bélanger et Chan s’emploient à poursuivre une réflexion plus approfondie sur les thématiques abordées en salle. Une bonification qui mérite d’être saluée pour sa pertinence théorique et sa volonté à synchroniser l’abstraction de concepts philosophiques avec la dimension plus pragmatique de la pratique artistique.

Marion Wagschal : Colossus
Musée d’art de Joliette, Joliette, du 4 février au 30 avril 2017

Après la rétrospective présentée par le Musée des beaux-arts de Montréal en 2015, c’est au tour du Musée d’art de Joliette d’accueillir en ses murs la peintre Marion Wagschal dans le cadre de sa programmation annuelle. Sous le commissariat de la conservatrice de l’art contemporain Marie-Claude Landry, Colossus retrace la production picturale des dernières années de Wagschal (2008-2016) en plus de consacrer une large part de l’exposition à la présentation de dessins préparatoires et d’un petit ensemble sculptural. Un choix de commissariat judicieux qui met en relief la qualité du travail technique de l’artiste et concours à cartographier l’imaginaire à la fois fantastique et autobiographique de cette figure incontournable de la peinture au Canada. Un choix qui met en outre l’accent sur le caractère intimiste de l’œuvre de Wagschal et affirmé d’emblée puisqu’il revient aux carnets de travail de l’artiste d’accueillir le visiteur dans l’exposition.

Ayant pour amorce Colossus, un immense autoportrait en raccourci où l’artiste pose nue avec un crâne entre les jambes, l’exposition éponyme emprunte à différents genres – portrait, scène de genre, vanité, allégories – de manière à aborder des thématiques à caractère existentialiste telles que la vieillesse, la mort ou la maladie. Des préoccupations qui habitent le travail de Wagschal depuis de nombreuses années, à preuve le tableau Nechtiger Tog (C’est du passé), réalisé en 1985 et acquis par le musée qui le présente au sein de son exposition permanente. Une belle occasion de parcourir à rebours la démarche de cette artiste et de constater l’évolution formelle en plus de la pertinence de son travail, les œuvres les plus récentes étant nettement plus sobres et minimalistes que ses productions précédentes. Une peinture dans tous les cas hautement figurative et aux accents souvent nostalgiques où Wagschal réitère une esthétique hybride informée à la fois par l’expressionnisme, le romantisme et le réalisme. Ce sont des récits empreints d’affects que la monumentalité des œuvres exacerbe, immergeant le regardeur dans ces mondes à la fois fantastiques et étranges. Loin d’être prétentieuse, Colossus s’avère sans contredit aussi imposante que son titre l’annonce.

Karine Payette : L’ombre d’un doute
Centre d’exposition Expression, Saint-Hyacinthe, du 11 février au 23 avril 2017

Empruntant le titre de sa dernière exposition au prolifique et ineffable maître du suspense Alfred Hitchcock et à son film Shadow of a Doubt, Karine Payette réaffirme à travers L’ombre d’un doute un univers baroque à la croisée du ludique et du fantastique. Réalisée sous le commissariat d’Anne Philippon, la dernière mouture de Payette se joue de cette tension en mettant en scène des « zones d’inquiétudes » où le spectateur oscille entre le rire et l’inconfort.

À preuve, l’installation L’autre dimanche matin (2012), œuvre étrange et comme figée dans le temps qui balise en début de parcours une réflexion sur la précarité et l’éphémère. Suspendue dans l’espace de la galerie comme dans l’espace-temps, l’œuvre nous arrache un sourire pour aussitôt semer le doute, ne sachant si du désastre ou de la simple maladresse anecdotique elle doit l’ambiguïté de sa position. Un fil thématique qui tisse la trame narrative de cette exposition multiforme et lie entre elles la pluralité des œuvres qui la constitue comme autant de micro-récits énigmatiques. On passe ainsi d’une pièce à une autre poussé par des sentiments contradictoires de curiosité et de crainte, d’aversion et de fascination.

En continuité d’un travail concerné par l’humain, son mode de vie et son impact sur le monde, L’ombre d’un doute reprend certaines des articulations emblématiques à l’artiste de manière à restituer les rapports asymétriques et souvent problématiques entre l’être humain et son habitat ou plus largement, de l’instrumentalisation excessive qu’il fait du vivant. Usant de la métaphore et de l’allégorie à travers l’accumulation d’objets et de mobiliers ou par le truchement de la figure de l’animal, l’exposition invite à réfléchir sur la précarité du monde, voire sur notre propre humanité. À l’aune de cette époque que d’aucuns nomment anthropocène, ces « vanités » réactualisées au goût du jour mettent en évidence la fragilité des liens qui nous unissent à l’environnement tout en interrogeant notre propension à l’anthropocentrisme. Avec en filigrane les conditions de sujétion et d’asservissement qu’elle induit, cette attitude de domination et de contrôle s’avère aujourd’hui problématique et vivement critiquée, la frontière entre humain et non-humain se faisant de plus en plus poreuse. Si le titre invite à l’incertitude et à l’équivoque, l’exposition elle-même réussit incontestablement à semer le doute.

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