Robert Polidori

Jennifer Alleyn
Galerie de Bellefeuille, Montréal,
Du 1er au 25 juin 2013
Robert Polidori, Galerie des glaces, 113) CCE.02.034, Corps central - 1er étage, Versailles (R.P.Vers.240), 1983.
photo : permission de l'artiste
[In French]

Après les séries photographiques sur La Havane, la Louisiane et Tchernobyl, accrochées au Musée d’art contemporain de Montréal en 2009, Robert Polidori déploie, pour la première fois, la quasi-totalité de sa série Versailles à la Galerie de Bellefeuille. D’origine canadienne et vivant à Los Angeles, l'artiste a traversé l’océan à répétition pour arpenter Versailles sur une période de 26 ans. Les 40 clichés exposés ici captent les multiples étapes de la longue restauration du château.

Loin des ruines et autres vestiges d’ouragans, le photographe de la décadence s’intéresse ici aux effets du temps dans une perspective historique et organique, là où les traces sur les murs en font foi. L’œil de la caméra scrute attentivement les portes et les pièces pour en mesurer l’étendue. Il en résulte une cartographie minutieuse du présent imprimé dans le passé. Polidori fixe les miroirs se reflétant à l’infini à travers différents cadrages. Si les images exposées ici font surtout appel à l’équilibre, à des cadres soignés et à des images lisses, on peut, en feuilletant l’imposant Parcours muséologique revisité (650 reproductions en trois volumes de luxe) paru aux Éditions Steidl en 2009, constater la variété des sujets photographiés. L’artiste revient fixer le détail d’une pièce à diverses années d’intervalle. Il montre les murs dépouillés de leur coque, la décoloration d’une tapisserie que cachait jadis un tableau, puis les couches superposées de couleurs ayant recouvert les murs. Toutes les strates sont mises à nu et le berceau de la monarchie française se déshabille sous nos yeux.

Dans ses images, Polidori saisit la dualité temporelle (échelle moderne devant tableau ancien, outil électrique devant tenture d’époque…) en lumière naturelle afin de rendre palpable l’atmosphère du château tel que Louis XIV lui-même le voyait. Le rayon de soleil ne frappait-il pas le même coin de la pièce du temps du souverain ?

Outre une perfection formelle, l’acharnement et l’étalement dans le temps offrent au visiteur un exemple de pérennité du regard que l’obsession d’immédiateté de notre époque tend à masquer.

Avec un temps d’exposition de 10 minutes parfois – car l’artiste privilégie toujours la pellicule argentique –, il cadre le coin inférieur gauche d’un tableau accroché dans un des boudoirs du château. Il nous prive de la tête du portrait, et nous entraîne dans son regard vers la texture d’un moiré de tissu peint à l’huile. La mise en relation de trois époques – celle du modèle, celle du peintre et celle du photographe – nous fait apprécier l’épaisseur du temps, de même que la fabuleuse capacité de l’homme à se réinterpréter.

Jennifer Alleyn, Robert Polidori
This article also appears in the issue 79 - Re-enactment
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