Kyle Dunn Late Breakfast, 95,5 × 81,3 cm, 2019.
Photo : Annik Wetter, permission de l'artiste & Galerie Maria Bernheim, Zürich

Un peu too much :
les stratagèmes de la peinture figurative gaie

Connor Spencer
L’artiste Kyle Dunn, censé flirter avec la provocation queer dans sa représentation de la sensualité masculine, peint des silhouettes d’hommes stylisées sur des surfaces sculpturales en plâtre, en mousse et en résine époxy. Ses peintures exposées récemment à la galerie P.P.O.W. de New York alternent entre les modes bidimensionnels et tridimensionnels de la représentation : les pattes d’une table dépassent du bas d’une œuvre intitulée Boy on Table (2020), et le contour dentelé de Window (2020) imite le revêtement extérieur en bois d’une maison. Le verre, les miroirs et les surfaces liquides étincèlent partout dans son œuvre, comme pour renforcer le caractère réfléchissant des surfaces sur lesquelles il peint ces matières. L’illusion est captivante ; pourtant, comme pour toutes les techniques de prestidigitation, les moyens employés par Dunn risquent de décevoir le public qui réduit ses peintures aux procédés illusionnistes mis en œuvre. Comme s’il anticipait le plissement des yeux de la personne qui se contente d’avoir compris le stratagème utilisé, Dunn assure à une intervieweuse qu’il essaie « de choisir des sujets qui profiteront réellement d’une représentation hybride, à la fois bidimensionnelle et tridimensionnelle, parce que cela renforce la nécessité du relief, au lieu d’en faire un stratagème, un simple gimmick1 1 - Jessica Ross, « Ghost World », entretien avec Kyle Dunn, Juxtapoz, 17 avril 2020, accessible en ligne. [Trad. libre] ».

Depuis plusieurs années maintenant, la peinture contemporaine fait l’objet d’un examen attentif : on se méfie d’un certain recours aux subterfuges que les critiques appellent, quand il est assidu, le style « zombie ». Dans la foulée de Walter Robinson et de sa critique du « formalisme zombie », le critique d’art Alex Greenberger constate l’essor de la « figuration zombie », genre pictural dont certaines des œuvres les plus connues remplacent les sujets humains par des manches à balai (Emily Mae Smith), par exemple, ou par Miss Piggy en train d’embrasser Kermit la grenouille, dans la pose d’une sculpture de Rodin (Mathieu Malouf). Comme l’affirme Dean Kissick, on dirait que ces peintures ont été produites « par des algorithmes », en ce sens qu’elles sont « conçues pour être parfaitement comprises en moins de cinq secondes »2 2 - Dean Kissick, «The Rise of Bad Figurative Painting », The Spectator, 30 janvier 2021, accessible en ligne. [Trad. libre]. Ce genre de peinture est spécialement patenté, dirait-on, pour circuler dans les médias sociaux et n’exige des gens qui le consomment qu’une réflexion minimale. D’après ses détracteurs, quand la peinture figurative contemporaine reproduit les motifs et la façon de périodes artistiques antérieures, elle titube vers l’avenir comme une morte-vivante et ne signifie pas grand-chose de plus que sa propre ingéniosité. Les critiques d’art partagent en effet un certain scepticisme à l’égard des illusions bas de gamme mises en œuvre par des peintres dont les œuvres se vendent à fort prix ; ils parlent des « blagues » (jokes) du formalisme zombie (Robinson), des « boutades » (one-liners) de la figuration zombie (Greenberger) ou des « rebondissements » (twists) de la mauvaise peinture figurative (Kissick). Les stratagèmes de la peinture figurative contemporaine amusent et agacent, et leur valeur présumée éveille le soupçon.

Cet article est réservé aux visiteur·euses avec un abonnement Numérique ou Premium valide.

Abonnez-vous ou connectez-vous à Esse pour lire la rubrique complète !

S’abonner
Se connecter
Cet article parait également dans le numéro 102 - (Re)voir la peinture
Découvrir

Suggestions de lecture