Shoog-McDaniel_rocks
Shoog McDanielRocks, 2018.
Photo : permission de l'artiste

Stratégies esthétiques à l’encontre des grosses douleurs

Florence Andoka
Revers de l’idéal de blancheur, de mobilité, de minceur et de vie éternelle des sociétés occidentales, mon corps est gros, handicapé, noir et, sans que je sois tout à fait capable de démêler ce qu’il en est de ces intersections, je ne suis certaine que d’une chose : c’est que ma propre souffrance est aussi prise dans un faisceau de discours sur mon corps, en particulier à l’encontre de mon poids. Considérer une personne grosse dans une perspective non grossophobe passe à mon sens par la considération du corps gros simplement comme existant et donc légitime par ce seul fait.

La socialisation des personnes grosses se tisse dans un filet d’oppressions qui engendre de l’impuissance, de l’exclusion et donc de la souffrance. Or, cette douleur-là n’est pas tant celle du corps au sens anatomique de la chair que celle de la violence des interactions du sujet avec le monde. Suivant la logique de Michel Foucault, le pouvoir ne s’exerce pas qu’à travers des institutions disciplinaires, mais aussi dans la multiplicité des micropouvoirs, la kyrielle de rapports de force interindividuels, la masse des choses dites qui s’archivent et forment la culture. La grossophobie est donc potentiellement partout, dehors, en moi, avec l’autre, la soignante, l’enseignant, la patronne, l’amoureux, les autres, le collectif. En tant que personne grosse, je continue d’exister avec et en dehors de cette détermination, avec et en dehors des souffrances qui lui sont encore liées. Je m’attache à tout ce qui me permettrait, non pas d’y échapper entièrement, ni même de convertir radicalement cette vulnérabilité en force, mais plutôt d’exister avec, contre, quand même, quelque part entre les plis du monde où les regards se croisent et où il convient de s’accrocher à ce qui peut faire du bien.

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Cet article parait également dans le numéro 106 - Douleur
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