… the deadening need to repeat, repeat…

Mike Nelson

La citation qui tient ici lieu de titre est tirée d’une lettre que Nelson a écrite à Rachel Withers, dans laquelle il discute de sa démarche en tant qu’artiste et bâtisseur ayant entrepris une « impossible tâche de mémoire et de compréhension ». Nelson est connu pour sa pratique « autophage », qui consiste à cannibaliser des matériaux employés dans des œuvres antérieures pour ensuite réassembler et réinterpréter certaines de ces composantes dans de nouveaux projets. Les étagères que l’on voit ici occupent l’une des pièces nichées dans les méandres labyrinthiques de l’exposition qui valut à nelson le prix turner en 2001. intitulée, de façon fort appropriée, The Cosmic Legend of the Uroboros Serpent, Cette installation immersive contenait des matériaux récupérés de l’œuvre monumentale de Nelson, The Coral Reef, présentée l’année précédente à la Matt’s Gallery à Londres, et en était entièrement constituée.

In the photograph’s distance from what could be called syntax one finds the mute presence of an uncoded event.

Rosalind E. Krauss

La meilleure façon de faire l’expérience des livres de mike Nelson est de les aborder comme des objets, d’où leur ­traitement (re)photographié apparaissant dans ces pages. Tout comme les étagères de son Uroboros couronné du prix Turner, sa publication Magazine (vous êtes plongé dans deux de ses pages alors que vous lisez le présent texte) agit à titre de « mécanisme d’entreposage » servant à stocker de l’information visuelle et diverses traces provenant de plusieurs projets réalisés par l’artiste entre 2000 et 2003. Remplies d’images « non codées » d’installations (aucune des images du livre ne comporte de légende ou n’est identifiée directement), les photographies, en un sens, reproduisent la confusion entre les environnements et la répétition des expériences visuelles qui caractérisent les nombreuses installations de Nelson.

Les publications de Nelson contiennent souvent dans leurs pages des images qui semblent à la fois similaires et différentes. Le lecteur peut parfois avoir l’impression de regarder une même installation parue dans des publications distinctes, pour découvrir qu’il regarde en fait des installations différentes reconfigurées à l’aide de matériaux employés dans des projets antérieurs.

Magazin: Büyük Valide Han, 8th International Istanbul Biennial, 2003.

Une lampe inactinique rouge utilisée par un photographe inconnu et absent, dont la « présence muette » n’est perceptible que par les traces de ce qu’il en reste, apparaît à plusieurs reprises à partir du début des années 2000 dans les installations architecturales de l’artiste, en donnant à voir des détails de plus en plus complexes. Le projet présenté par Nelson en 2003 à l’occasion de la Biennale d’Istanbul, intitulé Magazin: Büyük Valide Han, est une chambre noire minutieusement dissimulée et entièrement équipée qui n’est pas une simple pièce de l’installation, mais constitue la totalité de l’installation elle-même.

Spanning Fort Road and Mansion Street — between a formula and a code
Turner Contemporary off-site project, Margate, 2005.

Deux ans plus tard, une autre chambre noire-camera obscura réapparaît sous une forme plus modeste dans le cadre de l’installation présentée en 2005 à Margate ; un grand nombre d’éléments utilisés dans des œuvres antérieures y sont utilisés. Tel un déjà-vu aux teintes profondes, Spanning Fort Road and Mansion Street se trouve dans le même catalogue que son prédécesseur Büyük Valide Han, ce qui incite le lecteur à aller et venir entre les pages où figurent ces deux projets interreliés.

I, Imposter, 54th International Art Exhibition — The Venice Biennale, Venice, 2011.

Réalisation spectaculaire, la chambre noire qui avait été créée au départ dans les profondeurs du Valide Han, à Istanbul, a été entièrement reconstruite morceau par morceau à l’intérieur du pavillon britannique lors de la 54e Biennale de Venise, en 2011. Dans cette œuvre, mike Nelson va au-delà du simple acte de réassemblage. Il intervient à une échelle architecturale monumentale, aménageant entièrement le pavillon britannique dans le but de reproduire non seulement l’expérience originale du visiteur découvrant la chambre noire dans le Han, mais aussi la sensation qu’il a vécue en parcourant l’enchevêtrement de couloirs, de cours intérieures, de corridors, de salles d’entreposage et d’escaliers avant d’accéder à la pièce rougeoyante dissimulée au cœur du caravansérail.

[Traduit de l’anglais par gabriel chagnon]

Mike Nelson, Rebecca Duclos
Cet article parait également dans le numéro 79 - Reconstitution
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