Eric Baudelaire et Maxim Gvinjia The Secession Sessions, Kunsthall Bergen, 2014. Photo : Thor Brødreskift permission de l’artiste | courtesy of the artist
Le développement d’un art de recherche (research-based art), fondé sur la collecte d’information, a transformé de nombreux artistes en historiens déviants, qui renouvèlent les pratiques d’archivage en exposant le savoir comme readymade à peine assisté. Puisqu’il s’agit souvent de combler des angles morts de l’histoire, les plus intéressants n’hésitent pas à façonner « sur mesure » leurs pièces à conviction, en inventant leurs propres documents lorsqu’ils sont manquants. Leur approche même, manipulatrice et réparatrice, légitime l’art comme terrain privilégié de jeux scabreux avec la vérité, jeux qui en retour élargissent les frontières de l’art. 

Parallèlement, les débats sur la place de la performance dans l’exposition ont agité depuis une dizaine d’années les commissaires, amenant ces derniers à remettre en question les limites du document (trace photographique ou vidéo) en substitut du vivant dans l’espace de l’art. Les deux phénomènes étaient bien séparés jusqu’à ce que certains artistes se mettent à utiliser la performance pour restituer leurs investigations, créant de nouvelles formes d’érudition incarnée, voire littéralement « interprétée ». Comme si à la question irrésolue de « documenter la performance » se substituait celle, inverse et plus constructive, de « performer le document ». Eric Baudelaire, Dora García, Walid Raad : trois artistes qui ont peu en commun, si ce n’est une pratique de la restitution de faits qui emprunte à la poésie et à la fiction dans un souci d’efficience cognitive. Mais aussi, trois artistes ayant récemment opéré un virage vers des formes diverses de performativité qui insufflent un air sensuel et théâtral à leur rigoureuse pratique documentaire.

Les enjeux ontologiques de la performance historique (le corps de l’artiste, le vivant comme matière, la relation sujet-objet, l’identité, etc.) ne semblent plus agir directement ici, ou alors comme conséquences et non plus comme intentions. Ces formes spectaculaires de l’exposé, qui font œuvre, sont empruntées pour des raisons fonctionnelles, voire balistiques. C’est le contenu diffusé et sa cible qui sont essentiels. Le message n’est pas le médium.Tout se passe comme si le déploiement généreux de ces investigations prenait des chemins de traverse, des détours par des zones complexes de la connaissance au sein desquelles la performativité s’impose comme relais naturel du compte-rendu objectif. Paradoxe : ce sont précisément des sujets politiques très concrets – l’art contemporain comme instrument géopolitique au Moyen-Orient (Raad), l’Abkhazie comme modèle d’une identité nationale à construire (Baudelaire) et l’antipsychiatrie comme creuset de résistance idéologique (García) – qui suscitent ces mises en scène fictionnelles. Par ailleurs, ces travaux proposent des formes d’occupation et d’activation de l’espace, jouant sur la temporalité, la mobilité et l’imprévu dans l’exposition, même si le registre est plus théâtral que strictement performatif. On sait comment la simulation, le jeu et la répétition ont été des repoussoirs pour certains pionniers d’un art de la performance qui s’est forgé en opposition au moins autant à l’œuvre visuelle figée qu’à la représentation théâtrale1 1 -  Ainsi de Chris Burden, qui déclarait en 1973 : « It seems that bad art is theatre » (C’est comme si l’art de mauvaise qualité était du theâtre), « Getting shot is for real… there is no element of pretense or make-believe in it » (C’est pour de vrai qu’on se fait tirer dessus… Ce n’est pas un jeu, on ne fait pas semblant). Cité par Meiling Cheng dans In Other Los Angeleses, Multicentric Performance Art, Berkeley, Los Angeles, London, University of California Press, 2002. Un point de vue repris dans What is performance art, sur le site du Marina Abramović Institute : « What differentiates performance art from the performing arts such as theater is that performance art is not a space of make believe. In the theater, a knife is fake and the blood it draws is fake. In performance art, the knife is real and the blood is real » (La différence entre l’« art performance » et les arts de la scène comme le théâtre, c’est que la performance ne fait pas semblant. Au théâtre, le couteau est faux et le sang est faux. Dans la performance, c’est un vrai couteau, du vrai sang). [Trad. libre]. Utilisant le texte récité, la frontalité des dispositifs, l’artificialité des décors et la création de personnages, les artistes présentés ici n’ont vraisemblablement pas les mêmes appréhensions, sans à l’inverse fétichiser les codes du théâtre.

Walid Raad
Scratching on Things I Could Disavow: A History of Art in the Arab World, vue d’exposition | exhibition view, TBA21 Contemporary, Vienne, 2011.
Photo : Jakob Polascek, © Walid Raad,
permission de | courtesy of Paula Cooper Gallery, New York

Fictions scabreuses (Walid Raad, Scratching on Things I Could Disavow, depuis 2007)

Depuis quelques années, l’artiste libanais Walid Raad a abandonné (momentanément, peut-être) son vaste projet The Atlas Group, une archive fictive de documents sur les guerres du Liban2 2 - Vincent Lavoie, « L’archive indéfinie. Walid Raad et les imaginaires du conflit libanais », L’Indécidable – écarts et déplacements de l’art actuel, Montréal, Les éditions esse, p. 131-143., au profit de sujets apparemment plus légers, proches de l’économie de l’art contemporain. On pourrait à première vue le regretter, tant ce corpus initial a transformé de manière magistrale l’impossibilité de la représentation historique en une véritable poétique de l’absence. Il apparait au contraire que cette évolution du travail est exemplaire. Alors qu’il aurait pu capitaliser sur ces reconstructions parcellaires et évanescentes du passé, l’artiste a actualisé son propos dans une investigation intitulée Scratching on Things I Could Disavow. Sous des formes variées, celle-ci révèle les présupposés politiques et financiers du développement récent d’infra­structures artistiques dans le monde arabe. Ce faisant, le travail évolue vers une subtile critique institutionnelle, qui prend tour à tour des accents journalistiques, lyriques et littéraires. À travers l’étude de cas particuliers (l’Artist Pension Trust, une édifiante « pyramide de Ponzi » impliquant des investissements troubles sous le couvert d’une assurance retraite pour artistes, ou le récit fantastique d’un rapetissement, pour une exposition au Liban, des œuvres créées par The Atlas Group), il s’agit de montrer comment toute exposition est la manifestation d’un pouvoir, la défense d’intérêts masqués, dont l’œuvre d’art n’est que la justification ou le dommage collatéral. Dès lors, la survivance et l’intégrité de l’art ne peuvent paradoxalement être assurées que par retrait, effacement, aplatissement et autres stratégies de disparition. À partir de ces spéculations théoriques et poétiques, Raad communique le résultat de ses recherches par des objets, mais aussi par la parole live. Les œuvres ont alors deux statuts : sculptures et/ou dispositifs didactiques pour des visites guidées par l’artiste ou un interprète3 3 - Celles-ci peuvent aussi renvoyer aux expériences picturo-théâtrales de Guy de Cointet.. Les objets de l’exposition s’apparentent discrètement à des dispositifs pédagogiques : les ramifications vertigineuses de l’Artist Pension Trust sont représentées par une sorte de tableau d’éveil pour bébé, associant le ludique, le cognitif et le cinétique, tandis qu’une maquette minutieuse présente une rétrospective en miniature du collectif The Atlas Group. Une espèce de retour régressif des choses via des modélisations simplifiées ou corrompues. Raad avait déjà utilisé le format de la ­conférence-performance, jouant sur des glissements de registre entre fiction et documentaire. Les documents recueillis par The Atlas Group avaient eux-mêmes une double identité d’objets plastiques et de supports de narration. C’est même dans ces jeux de métamorphose de l’objet par le récit que résidait la puissance du travail : leur abstraction apparente devenant soudain extrêmement concrète, voire figurative, lorsque éclairée par leur substrat narratif. Mais cette fois, le récit n’est plus relégué au cartel écrit, mais au texte dit. Dès lors, l’œuvre apparait plus que jamais comme un théâtre de paroles et d’objets résilients, convoquant des histoires de fantômes, de disparition, d’ombres et de reflets comme transfigurations fantastiques du politique.

Eric Baudelaire
The Secession Sessions, Bétonsalon  Centre d’art et de recherche, Paris, 2014.
Photo : © Ségolène Thuillart permission de | courtesy of Eric Baudelaire
Eric Baudelaire
The Secession Sessions, Bétonsalon – Centre d’art et de recherche, Paris, 2014.
Photo : © Ségolène Thuillart permission de l’artiste | courtesy of the artist

La diplomatie comme scène de représentation (Eric Baudelaire, The Secession Sessions, 20144 4 - Eric Baudelaire, The Secession Sessions, Bétonsalon (Paris, France) et Bergen Kunsthall (Norvège), 2014.)

Chez Eric Baudelaire – venu des sciences politiques à l’art, d’abord par la photographie puis par le film et l’installation –, les emprunts à la théâtralité sont plus indiciels. Pour The Dreadful Details5 5 - Eric Baudelaire, The Dreadful Details, dyptique photographique, 2006., déjà, il reconstitue de manière minutieuse une scène de guerre en utilisant des figurants, tandis que dans le film The Makes, un critique de cinéma joue son propre rôle en narrant de manière convaincante une hypothétique période japonaise du réalisateur italien Michelangelo Antonioni. Des pratiques de faussaire qui révèlent des écarts entre un évènement et sa représentation. Son dernier projet, intitulé The Secession Sessions, prend comme sujet l’Abkhazie, micro-État né d’une guerre de sécession en Géorgie, en 1992-1993. Malgré lui au cœur d’un jeu d’influences entre l’Occident et la Russie, le pays est de facto indépendant, mais n’est toutefois reconnu par pratiquement aucune nation de l’ONU. C’est donc une sorte d’État fictionnel, utopie diplomatique pourtant géographiquement et politiquement bien réelle. Comme souvent, Baudelaire applique une méthode documentaire à un objet à l’identité glissante. On sait la fascination toute « romantique » qu’exercent les systèmes politiques alternatifs, les communautés autonomes et autres micro-nations qui défient le concert des nations officielles. Ici, la situation est plus cruelle et moins glamour : celle d’une république de fait, qui n’a pour projet politique que sa légitimation par les autres pays et dont la construction s’apparente à un jeu de rôle parfois pathétique. Un ordre politique comme scène de théâtre sans public. Dès lors, l’Abkhazie devient la métaphore critique d’une interrogation qui dépasse son cas particulier : qu’est-ce qui définit un État ? Est-ce un espace réel, possiblement autodéfini, ou bien un espace de projection tourné vers une audience nationale et internationale, dont le message se compose d’un ensemble de codes, signes et rituels (monnaie, drapeau, hymne, timbres, etc.) à interpréter ? Dans cette perspective, le dispositif imaginé par Baudelaire consiste en la création d’une fausse ambassade (appelée l’« Anambassade ») de ce pays qui n’en a pas d’officielle. Sur place, un ami de l’artiste, véritable ancien ministre des Affaires étrangères d’Abkhazie et protagoniste d’un film projeté dans l’espace, reçoit les visiteurs pour des discussions informelles. S’y déroule une étrange et sérieuse comédie où l’ancien diplomate joue son propre rôle tout en étant le sujet d’une œuvre (celle de Baudelaire), sans faire foncièrement autre chose, certainement, que ce qu’il faisait en tant que ministre. Convaincre, recevoir, interpréter un discours officiel. Il n’est question ici que de « représentation », qu’elle soit diplomatique, artistique ou théâtrale. Le mot étant aussi entendu en son sens primordial de rendre présent quelque chose d’absent. C’est précisément ici que l’exemple abkhaze éclaire de manière critique le jeu diplomatique en général : la figuration théâtralisée d’une insaisissable fiction, qu’on pourrait appeler le roman national. L’exposition est par ailleurs le décor de séances publiques où des penseurs, artistes et activistes débattent publiquement de questions liées aux enjeux politiques, éthiques et philosophiques du cas abkhaze, tandis que des personnes choisies sont convoquées pour des rendez-vous en tête à tête avec l’anambassadeur. Certes, le dispositif parait ici plus performatif, voire relationnel, que littéralement théâtral. Tout ce qui y arrive n’est pas écrit par avance, et une belle part est laissée aux conséquences de ce qui s’apparente à de la construction de situations. Il s’agit de produire plutôt que de restituer de la connaissance. La précise scénographie de l’exposition6 6 - Conçue par l’agence d’architectes Est-ce ainsi. la rapproche d’un plateau de télévision, avec murs autoportants et marquage au sol qui articulent les différentes séquences de la journée selon un horaire précis. Vrai-faux pays, vrai-faux public, vrai-faux ambassadeur… le caractère spectaculaire de l’exposition opère comme une mise en abyme de son sujet : un mélange embrouillé de réalité crue et de rêve. Le protocole propose une scène de fiction au service du réel, ou bien son exact inverse : une situation concrète traitant d’un sujet fictionnel. Histoire de points de vue qui importe peu, tant c’est le contenu des échanges provoqués par cette reconstitution qui est essentiel.

Dora García
Mad Marginal, 2009-2014.
Photo : © Dora García permission de l’artiste | courtesy of the artist
Dora García
Mad Marginal, 2009-2014.
Photos : © Dora García permission de l’artiste | courtesy of the artist

Du mainstream subversif (Dora García, Mad Marginal, 2009-2014)

Le projet Mad Marginal est une investigation tentaculaire entreprise par Dora García à partir des différentes branches de l’antipsychiatrie des années 19607 7 - L’antipsychiatrie est un courant de pensée relativement disparate, né parallèlement dans plusieurs foyers d’Europe, qui s’est opposé à la psychiatrie classique en refusant notamment l’enfermement et la médicalisation, et en remettant en question les frontières établies entre « fous » et « normaux ». Ses acteurs principaux sont Franco Basaglia en Italie, David Cooper en Grande-Bretagne, Gilles Deleuze et Félix Guattari en France. La pensée de l’antipsychiatrie influencera des groupes politiques radicaux et, notamment, Baader-Meinhof en Allemagne.. Ses modes de restitution sont hétéroclites : publications, ateliers, séminaires, performances, films, installations et photographies, mais aussi représentations théâtrales avec des comédiens professionnels. Au-delà du sujet exploré – passionnant, et dont l’artiste a acquis une véritable connaissance –, c’est la manière de traiter le savoir de manière mutante, glissante, créatrice, qui est ici remarquable. À partir de ces mouvements idéologiques radicaux qui ont eu des répercussions dans les domaines médicaux, mais aussi politiques et artistiques, García déplie sa recherche en cascade par relation, analogie et intuition, dessinant ses perspectives en même temps qu’elle avance. Elle en profite pour convoquer librement des figures qu’elle admire – Jack Smith, Lenny Bruce, Robert Walser, Antonin Artaud ou James Joyce : un panthéon personnel d’outsiders magnifiques invoqués par des citations, des lectures, des débats, mais aussi des réincarnations physiques. Cette recherche informe, qui suit les chemins sinueux de la sérendipité8 8 - La sérendipité, terme utilisé dans les sciences, est le fait de découvrir quelque chose de manière inattendue, grâce au hasard, au cours d’une recherche initialement dirigée vers un objet différent de cette découverte., finit paradoxalement par dessiner une silhouette bien tranchée et cohérente à cette nébuleuse référentielle. Il s’agit de sculpter le savoir, en lui donnant un volume propre qui n’épouse pas la forme de ses éléments constitutifs. Un savoir comme corps autonome, à la fois matériel et idéologique, saisissant et insaisissable. En écho à cette pratique déviante de la recherche, le projet envisage l’inadéquation comme une métaphore fondamentale de l’art : ce qui échappe à tout ordre (moral, juridique, esthétique) aussi bien qu’à l’entendement, comme le souligne subtilement le film le plus récent de l’artiste, qui présente des groupes de lecture du Finnegans Wake de James Joyce9 9 - Dora García, The Joycean Society, 2013.. Un autre chapitre du projet, présenté lors de la dernière Documenta de Kassel, intitulé Klau Mich, Radicalism in society meets experiment on TV, est peut-être le plus exclusivement performatif. Il prend la forme d’un programme de télévision hebdomadaire enregistré en public. Convoquant l’esprit des spectacles télévisés américains de Dean Martin ou du comique Andy Kaufman, l’émission s’approprie des procédés typiques du divertissement audiovisuel. Présentateur dynamique et mielleux, invités-surprises, faux et vrai public qu’on tente de faire participer, applaudissements, rires, danse, jingle, sketchs et chansons : des formes peu attendues dans l’art contemporain, ceci d’autant plus qu’elles ne sont pas utilisées dans le registre de la parodie, mais bien plus de l’hommage. La tension palpable vient de ce que ce dispositif aborde des sujets aussi graves et complexes que les programmes d’euthanasie des nazis, le terrorisme, les contrecultures des années 1960, les formes radicales de l’éducation, la maladie mentale, etc. Comme s’il s’agissait de retrouver une position subversive dans la manipulation des médias de masse au sein de l’art contemporain. C’est dans cette optique que García avait auparavant utilisé la performance théâtrale à des fins documentaires et critiques : ressusciter un personnage mort (William Holden, Gertrude Stein, Lenny Bruce), faire advenir un débat ou analyser les enjeux de ses propres projets. Ce faisant, l’artiste fait allusion aussi bien à Bertolt Brecht qu’à Antonin Artaud, au monologue comique qu’à la psychanalyse. Elle se rapproche également du concept séminal de happening d’Allan Kaprow, au sens d’une forme radicalement déviante de l’art, quel qu’il soit. Autrement dit, non pas une affirmation des arts visuels supérieurs au spectacle, mais la recherche d’une part « autre » de la création, qui subvertit autant le théâtre que les arts visuels. Dans une mise en abyme de son sujet, García pratique un art discret de la subversion, une manière de mal se comporter à l’intérieur même du champ de l’art contemporain, en faisant fi de la séparation dialectique entre critique et célébration, connaissance et divertissement, premier et second degré, le tout au service d’un chantier cognitif ambitieux et exigeant.

Dora García
Die Klau Mich Show: Radicalism in Society Meets Experiment on TV, dOCUMENTA 13, Kassel, 2012.
Photo : Lauren Huret, © Dora García, Theater Chaosium & dOCUMENTA 13, Kassel
permission de l’artiste | courtesy of the artist

Quand l’informe informe

Ces stratégies d’emprunt de formes théâtrales à visée documentaire sont une nouvelle étape dans une filiation post-conceptuelle qui s’émancipe de plus en plus de ses origines. Elles relèvent d’une autoréflexion non pas sur la fonction de l’art comme cosa mentale ou productrice de pensée, mais bien sur des modes actifs de restitution de faits, à la fois réels et métaphoriques. Il y a fort à parier que ces artistes se moquent des coordonnées de leur objet dans une cartographie des formes ; ils flirtent avec la recherche, la performance, la conférence, le cinéma ou le journalisme, sans jamais se fixer. Ce faisant, et là encore sans intention particulière, ils pervertissent les formes de la performance par le biais de situations théâtralisées, absurdes et excessives, investissant les arts de la scène et du divertissement pour leur capacité à être « informes », malgré les codes qui les régissent. Un informe qui informe. Adaptés à des sujets complexes, engagés dans le présent, ces emprunts constituent des prises de risque épistémologiques et donc morales. C’était la base du théâtre engagé, de l’agit-prop au Théâtre de l’Opprimé d’Augusto Boal en passant par Brecht. Les trois artistes présentés ici opèrent sur les frontières brulantes entre la fiction et le réel, l’esthétique et le politique. Dès lors, ils redéfinissent à leur manière le statut d’une pratique documentaire qui ne peut se fonder exclusivement sur le document. La fiction, le reenactment, la représentation théâtralisée permettent de faire affleurer certains angles morts de l’histoire des idées, inatteignables autrement. D’où la nécessité de convoquer ersatz, doubles et fantômes. C’est une sorte de sorcellerie cognitive qui est pratiquée ici, via le jeu, le rêve et la magie. Une pratique de l’invocation à visée didactique, et possible retour à une expérience sensuelle de la connaissance, au risque de la falsification.

Dora García, Eric Baudelaire, Guillaume Désanges, Maxim Gvinjia, Walid Raad
Dora García, Eric Baudelaire, Guillaume Désanges, Maxim Gvinjia, Walid Raad
Dora García, Eric Baudelaire, Guillaume Désanges, Maxim Gvinjia, Walid Raad
Cet article parait également dans le numéro 81 - Avoir 30 ans
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