La performance m’est apparue en 1990, puis en 1992-1993 pour s’estomper durant quelques années et revenir en force en 1997. De toutes les pratiques qui se greffent à mon hybridité, elle est celle qui me préoccupe le plus. Cette (in)discipline que je nomme performance, action ou intervention selon les contextes dans lesquels elle s’opère, j’en fouille et scrute les caractéristiques pour essayer de comprendre la nécessité des gestes que je pose. Je ne peux m’empêcher d’y associer des mots puisque ceux-ci font aussi partie de mon approche de l’art et de la vie. Est donc performance toutes actions, gestes, actes de présence, mises en situation, attitudes ou processus, qui auront pour intention d’ébranler, de bousculer, de malmener ou de confondre les codes et les valeurs établis. Elle sera dénuée de maniérisme, d’attitude empruntée ou de représentation anecdotique.

Étrangement, et contrairement à plusieurs qui l’ont adoptée pour fuir les caractéristiques de la scène, j’ai abandonné l’art action durant quelques années au profit de la danse contemporaine. À travers cette expérience, j’ai éprouvé un malaise devant l’immuable et le prévisible inhérents au spectacle. Mais j’ai surtout été dérangée par cette espèce de no man’s land qui séparait l’artiste « actant » du spectateur immobile. En performance, l’autre, ce public averti ou non, me préoccupe. Ainsi, je cherche continuellement une façon de l’amener à se sentir impliqué (ne pas confondre avec « l’impliquer dans l’action », bien que ce soit aussi une possibilité). Nombre de performances sont de plus en plus axées sur une présence narcissique de l’auteur qui risque parfois d’occulter la présence de l’autre. Est-ce dû à une nouvelle réalité sociale qui n’est plus celle des débuts de la performance, est-ce l’apport de plus en plus présent des nouvelles technologies ? Ce sont entre autres des questions auxquelles je réfléchis car je ne suis pas à l’abri du spectaculaire et les technologies m’interpellent parfois. Il ya en performance une forme de théâtralité incontournable initiée par la focalisation du public sur le corps de l’artiste. Même le simple fait de décontextualiser un objet ou un geste contribue en quelque sorte à cet état. Les éléments du quotidien sortis de leur contexte acquièrent une nouvelle identité et l’incontournable identification qui en résulte conspire à l’apparition de « l’aura » (W. Benjamin) de l’objet ou de l’acte d’art. Sachant cela, je tente de rester à l’affût de tout ce qui pourrait concourir au détournement de cette situation, et l’autre est souvent celui qui parvient le mieux à me déstabiliser.

Sylvette Babin, Sylvette Babin
Sylvette Babin, Sylvette Babin
Sylvette Babin, Sylvette Babin
Cet article parait également dans le numéro 40 - Performance
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