Une politique de l’intuition : Stan Douglas réinvente toute une ère de révoltes à la 59e Biennale de Venise

Gabrielle Moser
Vancouver, 15 June 2011
Stan Douglas Vancouver, 15 June 2011, from the series 2011 ≠ 1848, chromogenic print on Dibond, 150 × 300 cm, 2021.
Photo : © Stan Douglas, courtesy of the artist, Victoria Miro, London and Venice, and David Zwirner, New York, London, Paris and Hong Kong
Stan Douglas est sans doute le seul artiste dont on pourrait croire que l'exposition à la Biennale de Venise a été retardée d’un an volontairement et non par un concours de circonstances. Au fil de ses 35 années de pratique comme cinéaste, photographe et artiste multimédia, il n'a cessé de faire ressortir la signification tardive des évènements historiques, mettant en récit de façon complexe et captivante les réverbérations du passé dans le présent. Douglas a fait carrière en constituant des archives iconographiques pour des circonstances qui auraient dû être filmées : des utopies modernistes qui n’ont jamais vu le jour aux insurrections civiques en passant par le travail quotidien des musicien·ne·s de jazz et des syndicalistes. Avec le recul, ces épisodes du passé apparaissent comme des moments charnières de l’histoire, des instants où les choses auraient pu s’engager dans une direction particulière, mais ont fini par prendre un virage tout à fait différent.

Aujourd’hui, un an plus tard que prévu, en raison des bouleversements causés par la pandémie de COVID-19, Douglas dévoile une nouvelle série d’œuvres commandée par le Musée des beaux-arts du Canada et exposées pour le pavillon canadien de la 59e Biennale de Venise. Alliant photographies, installations vidéos et bandes sonores, l’artiste engendre des archives de la résistance civique. Pour son œuvre 2011 ≠ 1848 (2021-2022), présentée au pavillon national, dans les Giardini, il a produit des documents photographiques représentant des moments de révolte et de contestation contemporaines, les élevant au rang des grands évènements historiques. L’œuvre comprend quatre photographies de format panoramique dans lesquelles sont mises en scène des manifestations survenues partout dans le monde en 2011 : le Printemps arabe hautement politisé, les émeutes de Londres contre les mesures d’austérité et la violence policière, ainsi que les incidents moins spectaculaires qu’ont été Occupy Wall Street à New York et l’émeute de hockey dans sa ville natale de Vancouver. Douglas explore ainsi le potentiel non réalisé de ces actions citoyennes, où les doléances des militant·e·s sont majoritairement restées lettre morte. Non seulement les évènements de 2011 ont été transmis par le biais d’Internet à des groupes géographiquement éloignés qui les ont parfois imités, mais cette année-là fait aussi écho, comme le suggère le titre de la série, aux nombreuses révolutions bourgeoises qui ont éclaté en Europe, à plus petite échelle, en 1848. Ces soulèvements aux revendications variées – pour le droit de vote, la liberté de presse et la fin des écarts de richesse – n’ont pas non plus obtenu gain de cause. S’il peut être tentant de voir ressurgir dans les manifestations de 2021 le spectre d’un passé inachevé, Douglas, en juxtaposant ces deux épisodes historiques, pose une question implicite : quels récits de résistance – et quels groupes – sont intégrés dans la grande Histoire mondiale, et lesquels n’y sont consignés que sur le mode mineur réservé aux grognes collectives à l’échelle locale ?

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