L'ActivitéMommy, 2013.
Photo : Eugène Holtz
[In French]

Olivier Choinière nous a habitués à des objets hétéroclites au théâtre en transgressant la forme et le rapport avec les spectateurs qu’il a menés, un à la fois, munis d’écouteurs, dans des déambulatoires (Beauté intérieure, Ascension, Bienvenue à – (une ville dont vous êtes le touriste). Il a revisité le théâtre de série B sur la terrasse du Théâtre d’Aujourd’hui avec la tragédie météorologique Jocelyne est en dépression. Paradixxx mettait en scène des acteurs doublant, en direct, un film porno. Chante avec moi déstabilisait le public en reprenant ad nauseam le même refrain chanté par cinquante interprètes. 

Avec Mommy, si le rapport au spectateur est somme toute conventionnel, dans un théâtre, dans un dispositif frontal, la forme en parfaite cohésion avec le contenu renouvelle le genre. Quel genre en fait ? Théâtre chanté, théâtre musical, comédie musicale, revue historico-politique ? Sous les allures d’un théâtre bricolé entre amis, pour se faire plaisir, Mommy est une pièce aboutie et achevée composée d’un collage titanesque de citations, d’extraits de chansons, de discours politiques, de publicités ou de soaps des années 50. Choinière a déjà démontré beaucoup de talent à mélanger les genres, mais il n’est jamais allé aussi loin dans l’échantillonnage et le repiquage de nos références culturelles. Ce remixage sous forme de rap est souvent jubilatoire. On rejoint ici le concept de l’auteur rhapsode (en grec ancien, rhapsodia veut dire « -couture »), par lequel Jean-Pierre Sarrazac définit tout un pan de la dramaturgie actuelle faite de fragments hétéroclites, le travail de déconstruction-reconstruction (découdre-recoudre), la composition même du théâtre rhapsodique, étant une réponse à l’éclatement du monde actuel.

Choinière est fidèle aux préoccupations qui l’ont toujours animé depuis ses premières pièces. Déjà dans Autodafé, bûcher historique en cinq actes (1999), il montrait un intérêt poussé pour l’histoire du Québec, la question politique et tout ce qui a forgé notre identité. Ces questions, toujours présentes dans Mommy, sont en relation directe avec nos préoccupations actuelles. Le personnage central de la pièce, Mommy, interprété par l’auteur lui-même, joue sur la double identité de la mère et de la momie. Mommy est une mère fictive, une mère impossible puisqu’elle était à la fois fille du Roy et témoin de la Révolution tranquille. Mommy est une zombie à moitié pourrie qui sort de sa tombe (les costumes en loques en font foi). « Mommy est un monstre. Elle n’existe pas », écrit Choinière dans le programme de la pièce. Elle est cependant bien vigoureuse et livre un réquisitoire du monde actuel et de sa jeunesse, nostalgique du bon vieux temps, de l’époque de Maurice D (Duplessis, premier ministre du Québec à l’époque de la « Grande Noirceur »). En mettant de l’avant un discours traditionaliste et conservateur à outrance, l’auteur démontre par l’absurde la vacuité d’une pensée qui refuse d’avancer.

Jean-Claude Côté, L’Activité, Olivier Choinière
This article also appears in the issue 78 - Hybrid Dance
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