Martha Wilson
Êtres à l’œuvre

Thérèse St-Gelais
Galerie Leonard & Bina Ellen, Université Concordia, Montréal
du 6 janvier au 19 février 2011
Martha-Wilson
Martha Wilson,Être à l’œuvre, vue d'exposition, Galerie Leonard & Bina Ellen, Montréal, 2011.
Photo : Paul Smith
[In French]

L’exposition de Martha Wilson nous a ramenés aux beaux jours des années soixante-dix, alors qu’un concentré de la production féministe mettait en place une série de réflexions sur les identités de sexe et de genre. Logée à Halifax, Wilson était de celles qui, avec Suzy Lake à Montréal, revoyaient les codes de représentation en usant de stratégies cosmétiques et théâtrales. Par la photo ou la vidéo, Wilson se montre transformée, ou se transformant, dans des poses ou avec des apparences qui ne sont pas sans évoquer la production pastiche qui marquera les années quatre-vingt et suivantes.

Chez Wilson, la préoccupation du mythe de la beauté est manifeste quand, par exemple, elle exploite la laideur lors d’une performance vidéo où elle se maquille en amplifiant des détails ou des zones ingrates de son visage pour faire voir une image disgracieuse d’elle-même. À l’opposé d’une beauté féminine canonisée, c’est de fait un visage masculinisé qui apparaît sous ses traits, confondant ainsi à nouveau les genres pour en dépasser les caractéristiques normées et naturalisantes. Joueuse de rôles, elle moule ses personnages à son corps pour formuler une critique des stéréotypes et des idéologies conservatrices.

Sa participation au collectif de femmes Disband (1978-1982), dont les collaborations étaient variables, est en phase avec sa démarche critique vis-à-vis des conventions. Disband montre ouvertement des performances chantées ou théâtrales sans se formaliser de ne pas posséder les compétences ou talents que requièrent de telles exécutions. Aux limites du vaudeville raté, Disband se veut déjanté. La mise en spectacle est, comme telle, théâtralement parodiée, laissant en plan le raffinement habituellement nécessaire. L’amateurisme déplace ici délibérément les normes de qualité pour faire valoir plutôt une suite de saynètes dont la forme et la teneur empruntent parfois à Dada tout en y intégrant des propos qui se moquent des clichés liés au genre.

Isolée de la communauté féministe, mais néanmoins fondatrice de la Franklin Furnace (1967-1997) qui entretenait des liens clairs avec une idéologie soutenant la production des femmes, Wilson a fait partie du réseau de Lucy Lippard – alors que celle-ci mettait en forme sa pensée féministe dans From the Center – et a été mentionnée dans le catalogue de l’exposition WACK! Art and the Feminist Revolution (2007), laquelle regroupait les artistes déterminantes pour l’avancement des femmes dans l’art et son histoire.

Pré-Butler ou travaillant de concert avec la performativité avant la lettre, Martha Wilson serait, pour ainsi dire, de l’avant-garde de la troisième vague, celle qui annonce une réflexion en profondeur sur les identités de désir qui transgressent les appartenances sexuelles. Du féminisme, Wilson montre qu’il s’est inscrit durablement dans la pensée critique qui agit sur l’art et le politique. 

Martha Wilson, Thérèse St-Gelais
This article also appears in the issue 72 - Curators
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