Anne Le Beau et Compagnie Dave St-Pierre inc
Suie

Véronique Hudon
Cinquième Salle, Montréal, Danse Danse, du 1er au 11 février 2017
Le Beau et St-Pierre_Suie
Anne Le Beau et Compagnie Dave St-Pierre inc Suie, interprètes : Anne Le Beau, Bernard Martin et Hubert Proulx.
Photo : © Alex Huot
Cinquième Salle, Montréal, Danse Danse, du 1er au 11 février 2017
[In French]
Les artistes saluent le public, le chorégraphe Dave St-Pierre prend la parole et présente chacun des membres de son équipe. Voici comment s’ouvre le spectacle Suie. Personne ne retourne en coulisses, tous restent sur la scène pendant le spectacle, assis parmi le décor — un plateau incliné représentant une salle d’attente au réalisme désenchanté — ou en marge du plateau, près du support à costumes ou de la régie. D’entrée de jeu, les dessous du spectacle sont exposés : l’illusion scénique est rompue. La lumière se fait sur la petite communauté qui se cache derrière une production scénique. Cette dramaturgie naturaliste contraste avec un travail de l’image rappelant l’arte povera, dont le cœur est la figure de Jeanne d’Arc la pucelle, ici incarnée par Anne Le Beau, qui est accompagnée par le danseur Bernard Martin et le comédien Hubert Proulx. Il y a aussi un jeune enfant (Victor Proulx) en armure, présence candide au sein du spectacle. St-Pierre imagine Jeanne d’Arc vieillissante et la donne à voir dans une triste salle d’attente. Voilà une adaptation libre d’un récit mythique sur lequel se cristallisent nos relations conflictuelles à la pureté et à la sexualité, à la dévotion et à la violence humaine.

Jeanne d’Arc se cache sous le prélart du plateau, elle attend, le regard vide. Cet état léthargique est rompu par des séquences hautes en intensité où le personnage sort de ses gonds. Les performeurs jouent innocemment au pingpong jusqu’à ce que Jeanne d’Arc surgisse de sous le prélart. Ils la prennent, la déshabillent et la lavent avec un seau d’eau de manière clinique. Ce motif du lavage, du nettoyage revient de manière récurrente sur scène, comme pour illustrer une relation stérile et brutale avec le corps vulnérable. Jeanne d’Arc se verse deux bidons d’« essence » sur la tête ; elle glisse à répétition sur le sol incliné, s’accroche à une corde et entreprend une ascension ponctuée de chutes violentes sur le plateau. En bordure de la scène, le chien du chorégraphe (qui l’accompagne tout au long du spectacle) se met à aboyer. Cette image évoque la fin tragique de Jeanne d’Arc brulée sur le bucher. Jeanne d’Arc termine son ascension, l’équipe nettoie le plateau, le rythme est lent. Pendant ce temps, on observe le chorégraphe avec son chien, l’enfant qui s’amuse, la nonchalance de ceux qui ne sont pas occupés au ménage. Les séquences chorégraphiques, chargées d’une intensité symbolique, s’inscrivent en rupture avec un retour à la vie du plateau : nettoyer la scène, offrir de l’eau aux interprètes, enfiler son costume, autant d’actions qui désacralisent l’objet artistique. Ce va-et-vient entre la fiction et la réalité matérielle de la représentation en ennuie sans doute plusieurs, car les aspects spectaculaires se trouvent désamorcés. Pourtant l’attente permet de ressentir le passage du temps. Ces intervalles appuient le propos porté par différents éléments de la pièce : la salle d’attente, l’ennui, la répétition et l’étirement des actions, la présence comateuse de Jeanne d’Arc. Les processus qui précèdent la mise en place de l’image scénique sont exposés lors de ces intervalles, de sorte que le spectateur n’est pas happé par un effet de catharsis, mais plutôt invité à réfléchir sur sa perception et aux procédures à l’œuvre.

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This article also appears in the issue 90 - Feminisms
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