À Montréal, quand l’image rôde

Vanessa Morisset
Le Fresnoy-Studio national des arts contemporains, Tourcoing,
du 5 octobre 2013 au 5 janvier 2014
Frédéric Lavoie, Rue Notre-Dame, 1887, capture vidéo, 2013.
photo : permission du Musée McCord, Montréal

[In French]

L’œuvre qui ouvre l’exposition, une image rôdant non pas à Montréal, mais autour d’une villa des années trente de Mallet-Stevens à quelques kilomètres du Fresnoy, donne le ton d’un beau dialogue entre le lieu, la commissaire Louise Déry et les huit artistes représentés. Tout en restant fidèles à l’univers propre à leur auteur, les œuvres apportent une contribution à la réflexion d’ensemble, étant réunies autour du constat de la nature, décidément mystérieuse, des images, furtives et persistantes à la fois. Selon Déry, elles évoquent une image « qui rôde à distance de son référent » : une image libérée du poids des choses.

Parmi ces œuvres, Re/construction 1 (Villa Cavrois), 2013, vaste photographie de Yann Pocreau prise à travers une vitre animée de reflets, interpelle d’emblée le visiteur sur la difficulté de forger des images claires. L’interdiction à laquelle l’artiste s’est heurté d’accéder à Villa, en chantier depuis plusieurs années après avoir été à l’abandon, devient une métaphore de l’invisibilité. De l’intérieur de la maison, on ne perçoit qu’une photographie d’époque qui sert de modèle à la rénovation, image dans l’image ramenant le passé dans le présent.

En contrepoint de cette première œuvre, un écran en hauteur fait découvrir la vidéo d’inspiration futuriste d’Aude Moreau, Sortir, 2011. Filmée d’un hélicoptère qui effectue de grands cercles dans le ciel nocturne de Montréal, elle donne à lire le mot « sortir » formé par les fenêtres éclairées d’une tour. Constituant un spectacle grandiose, l’image qui rôde ici est à la fois divertissante et oppressante, digne d’un film de science-fiction.

Une autre œuvre nous transporte au cœur de Montréal, mais cette fois au 19e siècle. Rue Notre-Dame, 1887, 2013, de Frédéric Lavoie se compose d’une photographie d’archive immortalisant une scène de déneigement, point de départ d’une interrogation sur le contexte sonore de la prise de vue. En collaboration avec des bruiteurs et des doubleurs, l’artiste accompagne l’image muette des sons de la rue avant et après l’immobilisation des personnes à la demande du photographe. Cet ajout procure au document une dimension fictionnelle qui le transporte dans le monde de l’imaginaire.

Avec l’installation de Jean Dubois, Brainstorm, 2011, la philosophie glisse vers la poésie. Inspirée du poème de Mallarmé Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, où les mots sont agités sur la page comme par une tempête, la vidéo est activée par le souffle des visiteurs qui provoque la collision d’inscriptions lumineuses, en des termes préprogrammés empruntés à Jacques Derrida. « Entre le papier peint, le jeu vidéo et la philosophie post-structuraliste », comme la définit son auteur, l’œuvre apporte une réponse à une question complexe, à savoir, comment exposer la pensée.

Expérience sensorielle tout autant qu’intellectuelle, À Montréal, quand l’image rôde offre au public français et européen un riche aperçu de la scène montréalaise.

Frédéric Lavoie, Vanessa Morisset
This article also appears in the issue 80 - Renovation
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