André Fortino, Hôtel Formes Sauvages (2009-2015)
Du 24 septembre au 29 novembre 2015

Photo : Maxime Boisvert
[In French] Le travail d'André Fortino relève de la performance par la forme, mais use de dispositifs variés afin d'en explorer les possibles. À ce titre, l'exposition Hôtel Formes Sauvages présentée à la Fonderie Darling sous le commissariat d'Anne-Marie St-Jean Aubre explore les modes d'émergence du geste performatif redéfini dans ses rapports à la danse et à la vidéo.
Hôtel Dieu (2009)
Abécédaire de l’œuvre, la performance Hôtel Dieu, filmée dans un immeuble médical désaffecté, nous offre la clé pour comprendre les deux autres « tableaux » formant ce triptyque. Coiffé d’un masque de porc grotesque, l’artiste explore les pièces désertées de l’immeuble, déplaçant aléatoirement mobilier et objets trouvés, incarnant de manière improvisée l’esprit d’abandon du lieu. Laissant à son corps tout entier le soin d’investir les aspérités ou les cavités de l’architecture, Fortino s’immisce tel un vandale en cet endroit dont l’aspect glauque n’est pas sans évoquer les asiles des films d’horreur de série B. Des potiches à vocation pédagogique en rajoutent, l’artiste se jouant de leur présence macabre pour créer une mise en scène sans représentation. La performance de Fortino exalte la bestialité ; le corps se souille au contact des décombres jusqu’à devenir la mémoire incarnée du lieu. Le mouvement est spontané et viscéral, guidé par l’instinct. Il n’en revient qu’au geste de faire histoire.
Les Paradis Sauvages (2012)
C’est en visionnant la performance que Fortino voit émerger des équivalences liées aux objets manipulés et aux actions posées dans l’espace. De cette pantomime en apparence arbitraire et autonome se déploie ainsi l’articulation d’une forme d’écriture gestuelle, comme s’il s’agissait d’un alphabet sous-jacent. Cette partition constitue la trame de Les Paradis Sauvages, reconstitution millimétrée d’Hôtel Dieu produite en collaboration avec le cinéaste et ami de l’artiste, Hadrien Bels. Le geste est décortiqué puis réinterprété par l’artiste en divers lieux de manière à faire écho à la performance originelle. Les potiches sont troquées au profit des corps inertes de danseurs manipulés par l’artiste qui s’en joue telle une plasticine humaine. Ce qui semblait être une investigation aveugle de l’architecture avec Hôtel Dieu devient ici la performance d’un corps contraint à « faire image ». La caméra n’est plus l’outil archivistique ou documentaire qu’elle était dans Hôtel Dieu, se faisant dans ce cas-ci l’objet structurant d’une mise en récit du mouvement. La technicité du contexte cinématographique prend le pas sur la liberté d’écriture du corps dans le paysage, l’artiste se composant une posture ou un visage que l’on sent parfois tendue, assujettie à l’œil analytique de la caméra.

Photo : Maxime Boisvert
Le Corps des formes (2015)
Dans cette réinterprétation chorégraphiée d’Hôtel Dieu, Fortino cristallise l’espace intangible du mouvement, incarnant littéralement la relation de son corps aux objets déplacés. Cette fois, en mettant l’accent sur les trajectoires inhérentes de la syntaxe gestuelle et non sur le geste lui-même, Fortino, en collaboration avec la danseuse et chorégraphe Katharine Christl, a pu produire une troisième articulation sémantique à un travail déjà fort fécond. Y puisant peut-être là l’essence même de la performance, cette mise en abyme du geste performé complète, sans le circonscrire, ce cycle métaphorique appelé à une régénérescence constante. Un dialogue s’établit dans l’espace entre ces trois écrans où notre propre corps est littéralement plongé, confronté à l’échelle humaine du dispositif d’exposition. Une stratégie judicieuse qui permet un rapport frontal et immersif avec le corps de l’artiste et qui ne manque pas de faire émerger un « effet de présence », indispensable à la compréhension – du moins à l’expérience – d’Hôtel Formes Sauvages.
À l’image de la performance qui n’aime pas à se retrancher dans sa spécificité propre, l’apport sémiotique et esthétique de la vidéo et de la danse demeure prégnant dans cette exigeante entreprise de réécriture du corps actant. Étant toutes deux à la fois témoin et protagoniste de cette quête un peu insensée du geste matriciel, chaque tableau appelle l’artiste à un travail d’apprentissage mimétique que ne permet pas la spontanéité de la performance. Dans Hôtel Formes Sauvages, jamais le geste ne s’épuise totalement, devenant tour à tour matière et médium et jouant de cette réciprocité dans le but de se redéfinir inlassablement.