Alexis Lavoie, Les yeux crevés

Pierre Rannou
Plein sud, Centre d’exposition en art actuel à Longueuil,
du 15 mars au 19 avril 2014
Alexis Lavoie, Remplir le vide (7) / Chaque jour est un jour de fête, 2012. photo : Éliane Excoffier, permission de l’artiste

[In French]

Depuis qu’il a remporté le concours de peinture canadienne de la RBC en 2010, Alexis Lavoie n’a eu de cesse d’imposer sa signature visuelle dans le milieu de la jeune peinture québécoise. Au fil des expositions, il est parvenu à construire une œuvre cohérente et empreinte de mystère, où apparaissent des motifs récurrents et des traits stylistiques singuliers. L’exposition intitulée Les yeux crevés qu’il présente à Plein sud ne fait pas exception. L’artiste y propose quinze œuvres de différents formats produites en 2012 et 2013 et appartenant à pas moins de cinq séries différentes. Lavoie a choisi de ne pas regrouper les œuvres par série, à l’exception des plus petits formats comme ceux de la série Détaché et ceux d’Espace vert. Il les dispose plutôt dans l’espace de la galerie comme il joue avec les motifs iconographiques de ses tableaux, sans que ce qui les relie soit mis en évidence et sans que les œuvres dessinent un parcours repérable. D’ailleurs, dès l’entrée en galerie, on se trouve confronté à un tableautin d’une grande efficacité plastique, Détaché (7), représentant un cimetière, qui semble nous inviter à faire le deuil d’une certaine forme de peinture narrative et figurative. C’est aussi ce que laisse sous-entendre le titre de la manifestation, qui peut donner l’impression d’une imprécation.

Plus abstraits que ceux de la production picturale présentée à la Maison de la culture Frontenac à l’été 2012, ces nouveaux tableaux recèlent néanmoins la plupart des traits particuliers qui ont valu à l’artiste sa reconnaissance, soit sa façon unique de faire se côtoyer des éléments appartenant à des univers parfois très éloignés, comme des scènes sexuellement explicites et des fêtes enfantines par exemple, son habileté à faire cohabiter sur le même plan pictural des langages graphiques très divers ou encore sa palette aux couleurs éclatantes. Pourtant, leur sens semble constamment nous échapper et nous ne parvenons qu’à saisir leur atmosphère générale. Dans sa production récente, Lavoie semble opérer un déplacement quant à son rapport aux sujets qu’il peint. Il n’instaure pas directement une relation avec le monde réel, mais établit plutôt un rapport aux mises en scène de celui-ci dans l’espace médiatique. En s’attachant à confronter entre elles, sur l’espace du tableau, des images existantes, il brise l’illusion naturaliste qu’elles peuvent contenir, afin d’attester d’un indiscutable geste de peintre. Ce dernier, qu’il faut entendre comme une entreprise de redistribution et de recomposition des représentations figuratives préexistantes, s’affirme à la fois comme une prise de position critique face aux modes de diffusion des images qui nous asservissent, mais aussi comme l’élaboration d’une véritable poïétique picturale.

Vue d’exposition, Les yeux crevés, Plein sud, Centre d’exposition en art actuel à Longueuil, 2014.
photo : Guy L’Heureux, permission de l’artiste
Alexis Lavoie, Détaché (7), 2013
photo : Éliane Excoffier, permission de l’artiste
Alexis Lavoie, Pierre Rannou
This article also appears in the issue 81 - Being Thirty
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