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Il y a autant de performances qu’il y a de performeurs. Cette affirmation déjà bien connue de Rober Racine a été citée par plusieurs auteurs dans ce dossier. Elle cerne très bien les multiples orientations de cette pratique, la friabilité de ses frontières et la porosité des espaces qu’elle occupe. La pluralité de sens et de protagonistes inhérents à cet énoncé sous-tend une volonté d’échapper à toute forme de nomination restrictive de la performance, mais ajoute une ambiguïté quant à son identification. Dans le récent colloque sur l’interdisciplinarité tenu à Montréal en février, j’ai remarqué qu’une grande partie de l’audience et même des panélistes en appellent de la performance comme principal champ d’activités. C’est un fait, jamais il n’y a eu autant de performeurs sur la scène artistique québécoise et canadienne et jamais il n’y a eu autant d’interprétations de la performance. Quelles sont les raisons de cette recrudescence après une décennie plus silencieuse (du moins à Montréal) ? Qui sont ces performeurs et de quelle discipline proviennent-ils ? Finalement, comment se définissent-ils ? Voilà, le mot est lancé. La définition. Ce mot tabou qui exaspère de plus en plus et auquel on aimerait se soustraire. Pourtant, la performance qui veut se démarquer des arts de la scène et de la représentation pour tendre vers un art du réel et de la présence, possède toute une gamme de caractéristiques qui lui sont propres. On lui a même créé un vocabulaire spécifique, allant de l’art action à la manœuvre en passant par l’art immédiat, l’intervention, la pratique indisciplinaire ou sans discipline fixe et l’installaction. On peut dès lors constater un besoin latent de se nommer pour échapper enfin à l’idée reçue que la performance se définit par la négative faisant de ce qu’elle n’est pas une caractéristique plus importante que ce qu’elle est.

Dans ce dossier

Ce dossier n’a nullement l’intention de chercher à définir ou à redéfinir la performance ni d’en tracer un portrait exhaustif. D’ailleurs tous s’accordent pour dire qu’elle est un genre en perpétuelle mutation. Il m’importait surtout ici d’en souligner les diversités en laissant la parole à ceux qui font appel à cette pratique de façon sporadique ou intensive. Le processus était relativement simple, d’abord la sollicitation d’une cinquantaine de personnes touchant de près ou de loin la performance et ce par l’intermédiaire de certains centres s’y intéressant de façon spécifique, ainsi qu’à partir de la liste des participants à l’événement Les Yeux Rouges conçu par Sylvie Cotton pour PassArt à Rouyn-Noranda. J’y ai proposé cinq questions sommaires, en précisant aux artistes qu’ils pouvaient les modifier à loisir, en rajouter ou en soustraire, et dont voici la liste :

1- Compte tenu du fait qu’il semble exister plusieurs approches et définitions de la performance, comment nommez-vous votre pratique ?
2- Comment la définissez-vous ?
3- Depuis combien de temps et pourquoi faites-vous de la performance ?
4- Quelle est, selon vous, la pertinence de cette pratique actuellement ?
5- Comment vous démarquez-vous des caractéristiques du spectacle ou des arts de la scène ?

À ce questionnaire, tous n’ont pas répondu, et parmi ceux qui l’ont fait, plusieurs ont exprimé un malaise face à la nécessité de se définir. D’autres encore ont souri à cette nouvelle tentative de théorisation de la performance. Et de fait, je souhaitais éviter l’impasse d’une discussion stérile autour des termes et attributs performatifs. Ce qui n’empêche pas de réfléchir sur les différentes approches des performeurs, ceux-ci n’ayant tout de même pas fait vœux de silence. Plusieurs se sont donc « soumis » à l’exercice avec, j’ose l’espérer, un certain plaisir. La plupart sont québécois mais quelques artistes canadiens et étrangers ont aussi répondu à l’invitation. Ils sont de Toronto (D. Olson), de Vancouver (T. Duff, J. Boehme), de Lewiston. É.-U. (W Pope.L) ou de Paris (J. Bury). Pour ceux qui croient encore que la performance est un monde d’hommes, plus de la moitié des artistes présents dans ce dossier sont des femmes.

Les premières questions s’intéressent surtout à l’approche de chaque artiste, ce qui nous permet d’en savoir un peu plus sur leur façon d’aborder la performance à l’intérieur d’une définition qui leur est propre. La question portant sur la pertinence de la performance dans le milieu de l’art actuel peut sembler arbitraire dans un contexte où nous ne la mettons nullement en doute et d’ailleurs plusieurs ont omis d’y répondre. Cette interrogation vient surtout du fait que la persistance de la performance, dont la portée subversive inhérente à son apparition dans les années 60-70 était beaucoup plus évidente que maintenant, a souvent été mise en doute par la critique. L’interrogation cherchait donc à en retracer les intentions actuelles. Quant à ta question relative aux caractéristiques du spectacle et des arts de la scène, elle touche une problématique de plus en plus récurrente dans le contexte de présentation de l’art action. Il y a de toute évidence un retour au spectaculaire dans la performance, ne serait-ce que par la linéarité et la frontalité de certaines « prestations », la préparation minutieuse que l’artiste leur accorde (scénario, répétition) ou la prédétermination des gestes et du contenu souvent immuable. Le spectaculaire ne se fait pas que dans le spectacle, c’est-à-dire dans son organisation scénique. Il apparaît aussi dans l’attitude adoptée par le performeur, que ce soit par exemple dans la distanciation entre celui-ci et le public ou encore dans le confort d’une dynamique prévisible qui s’installe dans les différentes formes de fonctionnement mentionnées précédemment. Nous avons parfois l’impression que l’artiste « contrôle » parfaitement la situation. Le risque tend à disparaître. Mon intention n’est pas ici de mettre en cause cette nouvelle tendance, qui est sûrement réactionnelle aux contraintes sociales et artistiques de notre époque, mais plutôt d’essayer d’en cerner les motivations.

Pour introduire ce dossier, j’ai invité le sociologue Guy Sioui Durand à se pencher sur la question du spectaculaire dans la performance. Il nous propose un regard sur les pratiques de la dernière décennie. On remarquera aussi la présence de plusieurs collaborateurs de la revue Inter qui, comme nous le savons, réfléchissent sur l’art action depuis bon nombre d’années. En ces moments où l’interdisciplinarité et les pratiques hybrides sont particulièrement abordées, il nous a semblé intéressant de décloisonner aussi les espaces de publication en sollicitant leur participation.

Nous terminons par une entrevue avec la performeure espagnole Esther Ferrer que j’ai rencontrée récemment aux Ateliers convertibles de Joliette. Elle fait partie de cette première génération de performeurs qui poursuivent leur pratique de façon intensive. Il en est ainsi des Martel, Saint-Hilaire, Richard, Lamarche et Tourangeau présents dans ces pages. Les autres performeurs sont pour la plupart des artistes de la « nouvelle génération ».

Esther Ferrer, Rober Racine, Sylvette Babin, Sylvie Cotton
This article also appears in the issue 40 - Performance
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