Dans l’atelier de karen elaine spencer

Daniel Fiset

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[In French]

Je peux témoigner avec grande affection des différents ateliers montréalais qui ont accueilli la pratique de karen elaine spencer au cours des 15 dernières années. Je pense à un premier local de l’édifice RCA, dans le quartier Saint-Henri, débordant d’œuvres et d’archives, puis à un deuxième un peu plus exigu où, au fil des visites, j’ai vu s’accumuler sur une longue colonne de papier une séquence de minuscules carrés coloriés un à un pour former une mosaïque abstraite sur laquelle l’artiste a travaillé minutieusement pendant des années. Forcée de déménager en raison de la flambée du prix des loyers, l’artiste occupe maintenant un espace lumineux au Chat des artistes, sur la rue Parthenais. Récemment, j’y ai constaté tout le soin avec lequel elle conçoit la vie de ses projets en la voyant discuter de l’acquisition d’une œuvre à caractère performatif par une collection institutionnelle. Avoir été témoin de ces chaleureuses et importantes discussions m’indique que la démarche de karen se fonde d’abord sur des transactions, des contrats, des protocoles, des manières d’être-avec. Ses œuvres existent à travers nous, sont informées par nos échanges et nos manières de les raconter.

Ces ateliers, espaces pour être avec karen et sa pratique, ont été centraux dans ma formation d’historien de l’art et de travailleur culturel. J’y ai essentiellement appris comment se faisait l’art. Mes souvenirs de l’un se fondent dans ceux de l’autre, encouragés par l’impressionnante constance de sa démarche à travers le temps. Ils m’apparaissent comme autant de studios : ce sont des lieux d’étude, d’examen, d’exercice, d’essai, d’expérimentation, de discipline. Mais j’ai l’intuition que c’est plutôt la ville qui est son premier lieu d’ouvrage – son véritable atelier. Si un sens similaire peut se dégager de l’usage des termes « studio » et « atelier », l’étymologie de ce dernier ajoute un degré de complexité sémantique qui sied bien à la pratique de karen. Contrairement au studio, qui évoque directement la pièce de l’étude, comme le study room ou le studiolo, l’atelier désignait d’abord un « tas de bois » laissé à proximité d’un lieu de travail, en attente d’une intervention potentielle1 1 - Centre national de ressources textuelles et lexicales, « ATELIER », CNRTL, accessible en ligne.. Ce n’est que quelques décennies plus tard que le mot en est venu à signifier aussi l’endroit où l’on œuvre. Suivant cette indétermination entre la matière elle-même et le lieu de sa transformation, la ville-atelier est donc, pour karen, à la fois l’objet du travail et son contexte de présentation, le contenant et le contenu.

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