Trop c’est trop !

Johanne Chagnon

[In French]

Enfin l'amorce d'une action rassembleuse dans le paysage québécois.
Face à une conjoncture de plus en plus intolérable au Québec, il vaut la peine de souligner l’importance de l'initiative de L'Aut'journal qui avait amorcé à l'intérieur de ses pages un débat sur les moyens à prendre, avant de passer à l'action. Cette action fut le Rassemblement pour une alternative politique, qui s'est tenu en novembre dernier, à Montréal, avec comme mot d’ordre «Pour que l’espoir renaisse». Y ont participé des représentants de toutes les régions, et de toutes les tendances de gauche du Québec. Le but : amorcer un mouvement d'action politique. Démarche «modeste et périlleuse» en effet, selon les termes de Paul Cliche, du comité organisateur, mais nécessaire à ce moment-ci parce qu’il y a urgence.

L’attitude exprimée lors de ce rassemblement marque un tournant dans l’histoire politique québécoise. Une chose est devenue claire : on ne se retiendra plus de critiquer le parti au pouvoir sous prétexte de mettre en danger le projet de la souveraineté. Mais plus encore, c’est fini d’assister, impuissants, au démantèlement des acquis collectifs, par peur de nuire à la «cause». De toute façon, le prochain référendum est loin d’être gagné et ce gouvernement ne le gagnera sûrement pas en appauvrissant la population. Le Parti Québécois (PQ) contribue par ses actions répétées à détruire ce qui a été bâti collectivement jusqu’à présent. C’est une analyse partagée par plusieurs que le néo-libéralisme est en train de disloquer le Québec et que le PQ adhère, dans les faits, à ce credo socio-économique. Tout est en train d’y passer : l’éducation, les services de santé, Hydro-Québec, la SAQ, nommez-les. Pour ce parti, peu importe que le Québec pourrisse de l’intérieur, s’il fait bonne mine à l’extérieur et se conforme aux dictats des consortiums transnationaux. Les Libéraux feraient probablement encore plus de mal, mais ce n’est pas une raison suffisante pour laisser faire le PQ. On attendait davantage de ce dernier à cause de sa pseudo-option sociale-démocrate. Collectivement, nous avons la mémoire courte. Nous oublions facilement les raisons majeures qui ont obligé l’État à intervenir dans des domaines gérés à l’origine par le secteur privé.

Alors que le PQ prône une souveraineté d’affaires, de plus en plus de gens voient la souveraineté comme un outil pour réaliser le projet d’une société plus équitable. Lors du dernier référendum, plusieurs souverainistes posaient au PQ une question essentielle : quel projet social nous proposez-vous? Vous nous demandez un chèque en blanc, dites-nous ce que vous en ferez. Il semble que la situation actuelle ne soit pas la réponse que nous attendons. Qui a demandé le démantèlement de nos institutions, les coupures chez les plus démunis? Sûrement pas la majorité. Pendant que des compagnies québécoises épargnent, en toute légalité, 6 milliards $ à l’impôt, le nombre des exclus de la vie sociale ne cesse d’augmenter : on parle d’un total de 1 200 000 personnes (BS et chômage). Ça commence à compter! Comment faire pour ne pas être exclus de sa propre société? Aucun parti politique, malgré ses beaux discours, ne se préoccupe véritablement de ce problème. Il y aussi exclusion des régions à cause de la mondialisation.

Et la culture dans tout ça? Le tableau n’est guère plus reluisant. Le PQ «a viscéralement peur de la culture», selon Victor-Lévy Beaulieu, un des conférenciers au rassemblement. Il a toujours essayé de monnayer la culture en fonction d’échanges politiques et il s’est avéré là un des pires à agir de la sorte. Ça aussi, c’est assez!

Le rassemblement de novembre devait se prononcer sur une proposition. Chose faite : il a été adopté de tenir au printemps 1998 une assemblée de fondation d’un mouvement d’action politique, avec statuts, manifeste, etc. Sans être dogmatique, le mouvement s’articule autour de deux points de ralliement : l’optique qu’on qualifie de «progressiste» ou de gauche, et l’optique souverainiste. Il est devenu urgent de participer aux prochaines élections, qui pourraient se tenir dès 1998. Quelle forme prendra cette action : soutenir des candidats? créer un parti politique? Car là est le dilemme : faut-il adopter le même mécanisme? Certains ont poussé loin une réflexion qui englobe tout et ils proposent un changement en profondeur qui va au-delà de la seule participation à l’action électorale.

Le plus grand défi demeure de conscientiser les gens à la chose politique et donner un poids politique aux exclus. C’est aussi de faire en sorte que tous les tenants de la gauche s’entendent sur une action minimale commune. Quand on sait qu’il y a de 4 000 à 5 000 groupes populaires, qui vivent la réalité de près, mais qui travaillent chacun de leur côté, cette amorce d’action aura au moins le mérite de les rassembler et de faire entendre un autre discours. Lors du rassemblement, on a aussi exprimé une volonté d’une participation égale des hommes et des femmes à tous les niveaux. À la soirée d’ouverture, on avait invité autant de conférencières que de conférenciers, mais certains des hommes présents ont pris beaucoup de place : les Michel Chartrand et Léo-Paul Lauzon, par exemple, à côté des Nicole Frascadore et des Vivian Labrie. L’équilibre souhaité n’est pas chose facile, mais à tout le moins une préoccupation maintes fois répétée.

Est-il nécessaire d’ajouter que ESSE assistait au rassemblement de novembre dernier et qu’elle adhère à l’orientation de ce nouveau mouvement politique?

Nous constatons à quel point le démantèlement amorcé de nos acquis sociaux est dommageable d’autant plus que nous parcourons le pays. Nous poursuivons en effet dans ce 33e numéro notre série de dossiers sur les régions du Québec. Ce 5e dossier, rédigé par Johanne Chagnon, porte sur la région Mauricie–Bois-Francs. Et nous persistons malgré le fait que le CALQ refuse toujours de nous subventionner, même s’il considère notre projet intéressant. Cet organisme reproche à nos dossiers leur aspect nomenclature (comment parler sans nommer?) et pas assez critique (faut-il entendre par là trop critique par rapport à sa propre politique ou pas assez négatif vis-à-vis des productions qu’ils considéreraient trop «bassement régionales»?). En réalisant ces dossiers, nous nous retrouvons dans une position délicate : allons-nous jouer le rôle de Montréalais qui viennent critiquer et démolir? Nous nous intéressons aux contextes de production, au comment ça se fait, sur le terrain, près des artistes. Nous ne voyons pas l’intérêt de jouer les critiques qui pontifient. Il y a, croyons-nous, mieux à faire.

Des changements se sont déjà produits dans le Bas-Saint-Laurent depuis la parution du dossier du n° 31 sur cette région. Quelques mises au point s’imposent : le journal Le fleuve a cessé de paraître; la maison de VLB à Trois-Pistoles a connu des difficultés et a failli fermer; le projet de la Maison de la culture de Matane a été débouté parce que les citoyens, par voie de référendum, ont refusé un règlement d’emprunt, là où pourtant il y a un manque d’équipements culturels et où la somme qui restait à débourser n’était pas énorme. «Quand […] des citoyens en grand nombre se mobilisent contre de modestes projets d’équipements culturels comme s’ils s’attaquaient à la peste et au choléra, il y a lieu de s’interroger sur l’arriération de la conscience civique, particulièrement en province.» Ces propos ne sont pas de nous, mais d’Eudore Belzile (Le mouton noir, Rimouski, juin 1997), de la compagnie de théâtre Les Gens d’en Bas au Bic (rencontré en prévision du dossier du n° 31). À l’époque, les intervenants de Matane étaient sceptiques quant à la réalisation de ce projet. Ils avaient raison de l’être! Mais on ne lâche pas : une corporation, sans but lucratif cette fois, a été formée pour lancer un nouveau projet.

Le présent numéro est quasiment un «spécial régions». En effet, outre le dossier, trois articles — l’un signé Véronique Bellemare Brière, l’autre François Cliche, et le troisième Johanne Rivest — portent sur des symposiums ou festival tenus, au Québec, au printemps ou à l’été 1997. Deux d’entre eux avaient même lieu dans des régions ayant déjà fait l’objet d’un dossier : l’Abitibi-Témiscamingue et la Gaspésie. Dans les deux cas, il est frappant de remarquer que la vision des responsables, soumise aux artistes et au public, occultait les conditions socio-économiques des régions concernées, pourtant déterminantes. Si une Jeanne-Mance Delisle avait été nommée commissaire en Abitibi, il y a fort à parier que les choses auraient été différentes! Serait-ce que les responsables en région veulent se défaire d’une vision qu’ils jugeraient trop «restrictive», en faveur d’une image de soi plus neutre, plus «passe-partout», dans le réseau des événements en art?

Johanne Rivest nous livre une analyse de concerts présentés lors du dernier Festival de musique actuelle de Victoriaville. Son article corrobore le texte-manifeste de Michel F. Côté (paru dans n° 30) qui se portait à la défense de l’improvisation omniprésente en musique actuelle. Démonstration convaincante contre les idées reçues. Dans le dossier du présent numéro, le même festival est abordé de l’extérieur, vu dans son contexte social, alors que Johanne en traite davantage de l’intérieur, par l’intermédiaire du contenu (musical). Il est intéressant de voir ces deux facettes se cotoyer dans le même numéro de la revue.

Ce numéro 33 porte un regard également outre frontières en s’intéressant à des va-et-vient, collectifs ou individuels. À la suite de son dossier sur Cuba (n° 30), Bernard Mulaire retrace le type de ramifications qui sous-tendent tout événement artistique. Lire notamment sa note 3, fort pertinente, sur le concept un peu trop galvaudé de l’isolement. Louise Beaudry, quant à elle, aborde l’Effet-fax de Jocelyn Fiset, qui utilise à d’autres fins un outil technologique simple, le télécopieur — interventions effectuées tant en France, au Japon qu’au Québec.

L’Alzheimer social de ce numéro s’inscrit lui aussi dans un esprit de continuité. Paul Grégoire, qui n’est pas lui-même atteint d’alzheimer, revient en effet sur un aspect de son dossier du numéro précédent portant sur Las Fallas à Valence, Espagne (n° 32) : la corrida. Sans doute contentera-t-il les lecteurs laissés pantois dans l’attente de ces explications.

Denis Lord reste fidèle à ses premières amours, la bande dessinée québécoise (toujours aussi mal connue), en nous parlant d’une exposition tenue au Musée du Québec, et d’une autre, à la Maison de la culture Frontenac (Montréal). À défaut d’avoir été l’année de la bd, 1997 aura au moins connu son été de la bd. Enfin, Sylvain Latendresse partage avec nous ses doléances d’artiste aux prises avec le CALQ.

Voilà donc un aperçu de ce que propose le présent numéro. D’ici le prochain, qui contiendra la suite et fin du dossier sur la Mauricie–Bois-Francs, espérons que les actions entreprises par le «rassemblement de novembre» porteront fruit…

Johanne Chagnon
Cet article parait également dans le numéro 33 - Mauricie-Bois-Francs
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