Mini

Sylvette Babin
Le minuscule, comme le gigantesque et au demeurant tout être ou chose dont la dimension s’éloigne de l’échelle humaine, exerce sur l’individu un immense pouvoir de fascination. Probablement est-ce parce que l’objet de petite taille nous ramène inévitablement au monde de l’enfance et à ses nombreuses miniaturisations du réel (maisons de poupée, modèles réduits, figurines), nous plongeant par le fait même dans l’univers fantasmagorique du conte, évoquant tour à tour le Petit Poucet, Alice au pays des merveilles ou les voyages de Gulliver. Ce sont peut-être aussi la finesse du détail et l’apparence de perfection des œuvres miniatures qui émerveillent, comme le souligne John Mack dans son ouvrage The Art of Small Things : « L’agrandissement amplifie les imperfections ; la réduction les atténue. Un aspect de la miniature est qu'elle efface les défauts physiques et les dissipe, dans l’œil de celui qui regarde, en une beauté fragile1 1  - John Mack, The Art of Small Things, Harvard University Press, Cambridge, Massachussetts, 2007, p. 12. [Trad. libre]. » Mais que trouve-t-on derrière cette frêle beauté ? Sommes-nous réellement en présence de mondes idéaux et merveilleux ? 

L’échelle réduite de la miniature permet d’embrasser du regard ce qui à l’origine ne pourrait être perçu dans son ensemble. Au-delà de cette fonction utilitaire que l’on attribue généralement aux maquettes, par exemple dans les domaines de l’architecture, du cinéma et du théâtre, la possibilité de poser un regard panoptique sur ce qui habituellement se soustrait à notre champ de vision suscite parfois de nouvelles perceptions du monde. Ainsi, lorsque le Gulliver de Jonathan Swift observe les us et coutumes de la société lilliputienne de son point de vue de « géant », il en constate rapidement les travers. Que l’on se réfère aux miniatures littéraires ou aux créations artistiques de dimension réduite, ces microcosmes qui, de prime abord, semblent contenir des univers fabuleux, s’avèrent parfois le théâtre de situations particulièrement sombres lorsque nous les observons d’un peu plus près.

Le présent dossier propose d’analyser quelques-unes des différentes manifestations de la miniature en art. Concours de circonstances ou reflet des préoccupations des artistes actuels, la majorité des projets couverts relèvent surtout de l’objet en trois dimensions ou de la photographie. Ici également, la délicatesse des œuvres fascine d’emblée et laisse présumer au regardeur non attentif quelques paysages bucoliques, de sympathiques petites scènes de la vie quotidienne ou d’amusantes utopies. Pourtant, dans plusieurs cas, une observation attentive nous amène à découvrir les dystopies qui s’y dissimulent. On remarquera d’ailleurs que nous nous éloignons de plus en plus du conte pour nous retrouver devant les reproductions miniatures de situations bien réelles. Désastres écologiques, industrialisation à outrance, drames historiques ou remises en question de l’architecture moderniste sont alors au cœur de certaines œuvres, témoignant d’une critique sociale évidente. Les auteurs contribuant à ce dossier proposent en outre plusieurs angles d’analyse à l’égard de la miniature. Ainsi, le jeu et le ludique, le leurre et le simulacre ou le rapport à l’intime offrent à ces minuscules constructions d’immenses possibilités de lecture.

Il faut néanmoins changer notre rapport à l’espace pour aborder les œuvres miniatures. À échelle humaine, le monde du minuscule pourrait n’avoir que peu d’incidence sur notre compréhension de ce qui s’y joue, et se rapprocher peut ne pas être suffisant pour en saisir l’ampleur. Puisque nous ne pouvons pas, telle Alice, rapetisser à volonté pour entrer dans ces petits univers, un effort d’imagination s’impose. Cela implique de constants allers-retours entre la position du géant, pour saisir l’œuvre dans son ensemble, et celui du lilliputien, pour prendre part aux situations qui nous sont présentées.

Sylvette Babin
Cet article parait également dans le numéro 70 - Miniature
Découvrir

Suggestions de lecture