Tabita Rezaire_The Royal Standard
Tabita Rezaire Ultra Wet-Recapitulation, vue d'installation, The Royal Standard, Liverpool, 2018.
Photo : permission de l'artiste & Goodman Gallery, Johannesbourg

Décrocher la lune

Gwynne Fulton
Dans l’Antiquité grecque, il était de croyance commune qu’Aglaonice de Thessalie gouvernait la lune. Cette astronome et thaumaturge – l’une des 999 femmes à occuper le Heritage Floor, le socle triangulaire de l’installation The Dinner Party (1974-1979) de Judy Chicago – était renommée pour sa maitrise des cycles lunaires. Aglaonice prétendait être capable de faire disparaitre la lune, ce qui lui a valu une réputation de sorcière. Dans les cités-États patriarcales de la Grèce antique, c’est en effet ainsi, et non comme des philosophes naturelles, qu’étaient perçues les femmes douées. Tirant profit de cette croyance pour se doter d’une autorité sociale, Aglaonice enseignait aux « sorcières de Thessalie » à employer leur compréhension des éclipses lunaires pour « dérober la lune » avec leurs rituels. Ses contemporain·e·s ont tenté de discréditer ses pouvoirs en les qualifiant de trompeurs, mais c’était passer à côté de la magie véritable qu’elle déployait en créant une collectivité libératrice.

Refusant l’opposition binaire entre science et magie, entre technologie et mysticisme, une nouvelle génération de sorcières de Thessalie invoque aujourd’hui la lune dans ses cérémonies. L’unique satellite naturel de la Terre incarnant la puissance divine féminine et l’énergie spirituelle cosmique, les wiccan·e·s ourdissent à ce jour leurs sortilèges autour de lui, tandis que des artistes contemporain·e·s et des militant·e·s se rassemblent à sa lueur. D’Isabelle Stengers à Starhawk en passant par la cybersorcellerie TikTok et les covens numériques, la sorcellerie connait à l’heure actuelle une période de résurgence1 1 - Voir Lucile Olympe Haute, « Manifeste des cybersorcières », 2017, <lucilehaute.fr/cyberwitches-manifesto/index.html>.. Mais en parallèle, on assiste également à une montée de nouvelles formes de violence contre les femmes, les personnes trans et les personnes au genre non conforme qui s’organisent pour résister aux modalités de domination néocoloniale conduisant à la destruction du monde. En exploitant la technologie dans ses rituels spirituels et politiques, Tabita Rezaire, artiste vidéo et guérisseuse afrodescendante née en France, appartient à cette sororité évanescente. Axé sur les liens entre techno-science et systèmes de croyances ancestraux, son travail s’intéresse à tout ce qui tourne autour de la lune.

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Cet article parait également dans le numéro 105 - Nouveau nouvel âge
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