Jamie-Diamond-The-Season-Family-2007
Jamie DiamondThe Season Family, 2007, de la série Constructed Family Portraits, 2006-en cours.
Photo : permission de l'artiste

De quelle famille fait-on le portrait ?

Austin Henderson
Sur une étagère dans notre chalet familial, deux photos de groupe sont exposées dans de simples cadres noirs : celle de gauche montre la branche paternelle de ma famille (les Henderson) et celle de droite, la branche maternelle gréco-canadienne (les Lakas). Toutes deux ont été prises dans un parc durant l’été, au début des années 1950, lors de nos rassemblements familiaux annuels. Les proches de mon père – dont mes défunts grands-parents – sont assis et alignés en trois rangées, dans une mise en scène plus ou moins structurée qui fait penser à une photo de classe ; tous regardent la caméra. Les proches de ma mère affichent une attitude plus décontractée ; la plupart prennent place autour d’une longue table à piquenique durant un repas. Mes grands-parents maternels – qui sont morts avant ma naissance – se sont retournés légèrement pour faire face à l’objectif ; ils plissent les yeux et sourient sous le soleil d’été. Évidemment, ces photos ne peuvent pas tout montrer. Faisait-il très chaud ce jour-là ? Qu’y avait-il au menu ? Quels étaient les sujets de conversation ?

On pourrait tenter, à partir de ces moments figés dans la mémoire familiale, de remplir les cases vides afin de compléter un récit dont la photo ne nous dévoile qu’une partie. Au sujet des photos de famille en tant qu’objets mis en valeur, la penseuse féministe Sara Ahmed écrit : « Nous devons nous demander ce qui est mis de côté, ou laissé de côté, dans le récit de l’histoire familiale1 1 - Sara Ahmed, Phénoménologie queer : Orientations, objets et autres, traduit de l’anglais par Laurence Brottier, Montréal, Rue Dorion, 2022, p. 135.. » En d’autres termes, même si elles sont omniprésentes dans la culture visuelle, ces photos se bornent généralement à figurer la famille dite traditionnelle. Cette limitation amène la possibilité d’une réflexion sur d’autres manières d’aborder la représentation des structures familiales. Vu l’abondant traitement dont l’art du portrait familial fait l’objet dans l’histoire de la photographie amateur et professionnelle, nombre d’artistes queers, parmi lesquels JJ Levine, Jamie Diamond et Naima Green, sont naturellement fascinés par la notion même de famille, à savoir comment on la définit et ce qu’elle a le potentiel de devenir. S’appuyant sur la tradition du portrait de famille, les trois artistes travaillent à élargir les catégorisations habituelles dans l’optique de montrer la multitude de structures familiales au sein des communautés queers. Toutefois, leurs œuvres ne font pas que repousser les limites inhérentes aux pratiques photographiques conventionnelles : elles contribuent aussi à démultiplier les définitions de la famille, pour révéler la promesse que l’avenir réserve aux parentés queers. Levine et Green se montrent solidaires des communautés LGBTQIA2S+ en s’efforçant de les représenter le plus authentiquement possible ; Diamond, de son côté, cherche plutôt à subvertir la définition normative de l’unité familiale.

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Cet article parait également dans le numéro 107 - Famille
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