Damien Cadio Crumble, 190 × 140 cm, 2019.
© ADAGP, Paris / SOCAN, Montréal (2021)
Photo : permission de l’artiste

Damien Cadio, Des horizons

Thomas Fort
Les peintures récentes de Damien Cadio – de la série des natures mortes florales à celle qui s’intitule Nuit de l’histoire, toutes deux en cours depuis 2016 – façonnent un panorama en déliquescence composé de figures rémanentes, tels de maigres lambeaux qui subsistent dans l’ombre de situations grandiloquentes. En donnant à voir un monde sous le joug de l’entropie, ses œuvres suscitent un ensemble de réflexions sur les enjeux de la peinture tout en explorant la crise contemporaine de nos représentations. Sans en faire le récit ou l’illustration, elles mettent en scène un territoire où « nos pensées se mettent en colère1 1 - Marc Augé, Les formes de l’oubli, Paris, Payot et Rivages (Rivages poche, Petite Bibliothèque), 2019 [1998], p. 13.», comme le dirait l’anthropologue Marc Augé. À l’accélération marquée des flux de capitaux, de biens et de personnes, la peinture de Cadio oppose sa temporalité lente, presque déphasée. Elle suggère par là d’adopter un regard critique devant les réseaux exponentiels des apparences mondialisées. En nous en offrant quelques fragments silencieux, elle demeure un langage foncièrement contemporain.

Pinces de crabe, fleurs, livre calciné ou montagne enneigée… les tableaux de Cadio traitent d’une pluralité de sujets qui catalysent des images aux tonalités sombres traversées par endroits d’éclats lumineux et francs. Ils trouvent une cohérence à travers une palette chromatique plutôt sourde associée à des cadrages serrés, voire elliptiques. Ces choix stylistiques enferment les objets dépeints dans des huis clos. Nulle distraction ni échappatoire ne subsistent. Notre œil bute contre la frontalité des compositions et leur faible profondeur de champ. Dans Le ciel et l’Arcadie (2017), un bouquet s’est dispersé au sol dans un enchevêtrement de branches, de pétales et de feuilles flétris. Une lumière blanche et froide éclaire le centre de la toile, luttant contre l’ombre qui la recouvre. Dans le tiers inférieur, les tiges se détachent fébrilement du fond et délimitent une zone d’obscurité profonde, comme un précipice qui placerait la scène au bord de l’effondrement. Cette dynamique se retrouve dans Crumble (2018-2019). Là, les teintes alternent entre le cramoisi, le beige grisâtre et le bois de rose, colorant un amoncèlement de fleurs desséchées dont certaines ressemblent à des coquilles vides, comme si un processus de fossilisation s’était amorcé. Dans 1933 (2016), les pages d’un livre brulé prennent l’apparence de strates géologiques. À travers elles, notre œil creuse pour déceler, sur la droite, le détail à peine visible d’une reproduction de La Liberté guidant le peuple, d’Eugène Delacroix. Presque entièrement repoussée dans le hors-champ du tableau, cette célèbre image n’inspire ici plus d’espoir. 

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Cet article parait également dans le numéro 102 - (Re)voir la peinture
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