Jeremy-Deller-Unrealized-Project-for-the-Exterior-of-the-Carnegie-Museum
Jeremy DellerUnrealized Project for the Exterior of the Carnegie Museum, 2004-2011, MoMA PS1, New York, 2011.
Photo : Matthew Septimus, permission du MoMA PS1, New York
Que peut montrer une exposition à New York sur le 11 septembre ? Les images qui ont déjà tourné en boucle sur toutes les télévisions du monde ? Des traces de destruction, comme au mémorial de Ground Zero, ou au contraire des éléments de reconstruction, notamment celle bien réelle d’un New World Trade Center ? Chacune de ces options aurait donné lieu à une exposition convenue et probablement sans grand intérêt. Le commissaire de September 11 au PS1, Peter Eleey, a choisi une tout autre solution, remarquable, qui fait de la catastrophe le point de départ d’une réflexion rétrospective sur l’historicité du regard. Pour la plupart antérieures à 2001, les œuvres sélectionnées offrent des possibilités de réinterprétations chocs, provoquant un enchaînement de questions sur l’image de l’Amérique, celle que les Américains souhaiteraient avoir d’eux-mêmes, celle que leur renvoie le monde.

Non pas que les œuvres présentent des signes avant-coureurs du 11 septembre. C’est plutôt la catastrophe qui révèle des composantes jusqu’alors passées inaperçues. L’emballage de deux immeubles de Manhattan par Christo, Two Lower Manhattan Packed Buildings (2 Broadway And 20 Exchange Place) Project (1964–1966), ne présageait pas la destruction des tours jumelles mais, après le 11 septembre, le projet exprime une agressivité iconoclaste insoupçonnée.

La banderole de Jeremy Deller réalisée pendant la guerre en Irak où l’on lit « Mission accomplished » (Unrealized Project for the Exterior of the Carnegie Museum, 2004-2011) résonne ici avec une arrogance démultipliée par l’ironie de l’artiste.

Dans le contexte de l’exposition, l’œuvre la plus saisissante est sans doute la photographie de William Eggleston, Untitled (Glass in Airplane), from The Los Alamos Portfolio (1965–1974), digne d’une publicité pour une compagnie aérienne. Dans la cabine ensoleillée d’un avion, une personne dont on ne voit que la main remue tranquillement les glaçons de son apéritif. Scène d’une vie moderne et confortable, instantané parfait de l’american way of life, cette photographie incarne une insouciance désormais obsolète. On ne peut en effet s’empêcher d’imaginer que, quelques instants après avoir vidé son verre, cette personne pourrait disparaître dans le crash d’un attentat.

En suggérant de telles réinterprétations, le commissaire de l’exposition réalise un véritable travail curatorial, en ne se substituant ni à l’artiste et sa créativité, ni à l’historien et sa scientificité, comme c’est trop souvent le cas, mais en invitant le spectateur à s’interroger sur le rapport entre l’histoire et le regard qu’il porte ici et maintenant sur les œuvres.

Jeremy Deller, Vanessa Morisset
Cet article parait également dans le numéro 75 - Objets animés
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