RAOTIHÓN: TSA – Focus sur la création contemporaine des Premières Nations

Anne-Marie Dubois
Théâtre La Chapelle, La Centrale Powerhouse Montréal, arts interculturels (MAI), Montréal
Du 8 au 22 avril 2016
Théâtre La Chapelle, La Centrale Powerhouse Montréal, arts interculturels (MAI), Montréal
Du 8 au 22 avril 2016
La Chapelle Scènes Contemporaines présentait du 8 au 22 avril dernier RAOTIHÓN: TSA - Focus sur la création contemporaine des Premières Nations, un événement voué à faire entendre la parole autochtone à travers une programmation au diapason de ses artistes, c’est-à-dire plurielle et engagée. Porté par la volonté de déboulonner les stéréotypes accolés aux peuples des Premières Nations et de créer un lieu de parole où il leur serait possible de raconter leur histoire, RAOTIHÓN:TSA a également été l’occasion de repenser la culture autochtone à l’aune de sa contemporanéité. L’événement se déclinait donc en une multitude d’activités, fruit d’une collaboration avec divers organismes culturels – le centre PHI, Montréal, arts interdisciplinaires (MAI), le Monument National, le Conseil des arts de Montréal et la galerie La Centrale Powerhouse – répondant ainsi aux impératifs des différentes disciplines artistiques mises de l’avant relativement au mandat multidisciplinaire du festival.

Œuvre phare de la programmation, la pièce Agokwe du dramaturge et acteur Waawaate Fobister donnait le ton à cet événement qui furetait hors des sentiers battus. S’éloignant d’une conception traditionnelle et surannée de l’autochtonie, Fobister abordait ici les enjeux plus complexes de son identité de genre bispirituelle (agokwe en ojibwé), faisant chevaucher légende mythologique, homosexualité, mécaniques sociales et communauté. Reprenant la forme du conte chère à ses ancêtres, l’auteur anishinaabe incarnait tour à tour les multiples personnages de ce récit en partie autobiographique, peignant le portrait d’une identité autochtone morcelée par ses paradoxes.

Si le titre du festival évoquait le territoire – RAOTIHÓN:TSA pouvant se traduire par « leur terre » en mohawk – l’omniprésence de l’oralité se faisait sentir à bien des égards, soulignant au passage l’importance de la langue comme espace où se performe la culture autochtone. Sensibles aux inflexions que portent les mots, mieux que quiconque les peuples amérindiens ont usé de la parole comme vecteur d’histoire. Mais aux paroles les images se joignent et surabondent, en témoignent la multiplication et la pertinence des expositions consacrées au travail des artistes visuels issus des premières nations au Québec et plus encore, à la critique postcoloniale perceptible dans le travail de nombre d’artistes allochtones. Une focale nécessaire pour l’histoire de l’art alors que son discours sur les pratiques des artistes autochtones tente un dépassement essentiel et salutaire d’un point de vue strictement ethnographique, point de vue qui a longtemps nourri de ses présupposés stigmates bon nombre d’expositions dont l’objectif louable était pourtant de mettre en exergue la qualité de l’art indigène.

Commissariée par Heather Igloliorte, titulaire de la Chaire de recherche en histoire de l’art autochtone et engagement communautaire à l’Université Concordia, l’exposition Disrupt Archiveprésentée à la galerie La Centrale Powerhouse examinait à ce titre la question de la réappropriation culturelle par le colonialisme. Avec cet esprit fédérateur caractéristique de La Centrale Powerhouse, l’exposition bicéphale rassemblait l’esthétique queer de Dayna Danger (Métis/Ojibway/Polonaise) et la posture postcoloniale de Cecilia Kavara Verran (Uritai/Pasikfika/Écossaise). Par le truchement d’une iconographie BDSM et de la technique ancestrale du perlage, l’installation photographique de Danger opérait un déplacement sémantique autour du motif du masque, la féminité objectifiée de la culture pornographique misogyne étant ici troquée pour des corps affirmant sans ambages leur agentivité. Optant pour une approche plus évocatoire, la vidéo de Kavara Verran évoquait quant à elle le rapt culturel perpétré par le colonialisme et le processus de folklorisation induit par la muséification des objets ainsi décontextualisés.

Installée au MAI, l’exposition Pitching Tents in Terra Nullius de Keesic Douglas (Ojibway) et Matt Macintosh abordait pour sa part les rapports insidieux entre le territoire et la politique coloniale à travers le motif du paysage. Boutade à l’égard des représentations du territoire canadien telles que proposées par le Groupe des sept, les artistes s’attachaient ici à déconstruire la vision romantique et fantasmée posée sur la nature comme entité souveraine en proposant une approche anthropologique d’un monde post-apocalyptique. À l’aune du néolibéralisme et des changements climatiques, nul besoin de forcer l’imaginaire à un effort de visualisation pour se représenter face à notre propre extinction et le ton adopté ici par le commissariat, quelque peu nostalgique, annonçait plutôt un rapport renouvelé symbiotique avec la nature. Au bar de La Chapelle était en outre projeté Dance to Miss Chief+Mary+Robin’s Hood, courts métrages de l’artiste crie Kent Monkman mettant en vedette la scabreuse Miss Chief Eagle Testeckle. Pour l’occasion, l’insubordonnée berdache à talons hauts habitant les toiles évoquant la Hudson River School de Monkman revisitait ces récits mythologiques et bibliques, se jouant des regards de manière à désamorcer une lecture convenue du corps séducteur, traditionnellement « construit » par le désir de l’homme (blanc, bourgeois, riche, etc.) et vivement questionnée, entre autres, par les études sur le genre.

Une approche renouvelée des pratiques artistiques actuelles qui conditionne de nouvelles avenues de réflexions autour des enjeux de l’art contemporain issu des Premières Nations. Autant d’occasions pour réfléchir à d’autres histoires et faire entendre une parole à la fois poétique et politique en marge des discours dominants.

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