Mathieu PernotLa ruine de sa demeure

Avec un intitulé tiré d’un recueil datant du 11e siècle, Les impératifs : Poèmes de l’ascèse d’Abû l-Alâ al-Ma’arrî (Gallimard, 2010), l’exposition de Mathieu Pernot, gagnant du prix HCB 2019, établit des ponts visuels entre des archives documentaires et des captations récentes de lieux du Moyen-Orient en prenant leur état de ruine comme un filon commun. L’itinérance photographique de Pernot démarre avec l’album photo de son grand-père, René Pernot, dont le voyage, réalisé en 1926 et calqué sur le modèle du Grand Tour, fixe le parcours initiatique de Beyrouth à Mossoul en passant par Tripoli, Homs, Baalbeck, Palmyre et Damas. L’installation hybride présentée à la Fondation Henri Cartier-Bresson n’a toutefois pas la prétention scientifique du documentaire et encore moins celle du reportage journalistique. De l’aveu du créateur, elle se veut plutôt un commentaire sur les situations décrites, mais aussi sur les images, leur statut et leur fonction critique et esthétique. En ce sens, Pernot adopte le point de vue du voyageur étranger qui découvre les choses en surface et qui s’en tient au visible. C’est effectivement avec cette perspective distanciée, mais toujours sensible que l’artiste dresse un état des lieux à la suite des tragédies humaines subies au cours des dernières décennies, dont de nombreuses guerres de territoires. Ainsi, des photos de ce qui a été jusqu’en 1958 la résidence familiale à Beyrouth font place à l’image percutante du même immeuble, cette fois éventré, puis condamné, à la suite de l’explosion, en aout 2020, d’un entrepôt du port contenant des centaines de tonnes de nitrate d’ammonium. Mathieu PernotBeyrouth, 2020.Photo : permission de l'artiste Mathieu PernotBeyrouth, 2020.Photo : permission de l'artiste D’autres clichés attestent pour leur part la vivacité du tourisme de certaines cités, comme celle des ruines de Baalbeck, dont les vestiges témoignent du triomphe de la civilisation gréco-romaine. À la « Grande histoire » succèdent les violences inouïes de la guerre civile en Syrie, où les infrastructures de plusieurs sites, dont celles de l’épicentre Alep, portent encore les douloureux stigmates. C’est ici un regard bienveillant que pose l’artiste sur le quotidien des Alépins, qui vivent, encore aujourd’hui, dans les décombres des attaques acharnées du régime syrien et qui n’ont d’autre choix que de relever leurs manches pour reconstruire leur milieu de vie. À côté de cela, l’omniprésence des portraits victorieux de Bachar Al-Assad dans l’espace public ravive la froideur du dictateur et sa répression sanglante. La scène d’une boucherie où sa photo trône au-dessus des carcasses animales semble résumer en une seule image la pensée de Pernot. Le projet de destruction du patrimoine assyrien et chrétien tenté à maintes reprises par l’État islamique figure aussi parmi les témoignages visuels marquants, notamment au musée de Palmyre, où l’évacuation des &oelig;uvres a été orchestrée de justesse avant les frappes de Daech par son directeur, qui a été assassiné en aout 2015. Enfin, le catalogue de l’exposition reconstruit éloquemment la chronologie du parcours trop réduit de l’exposition à travers un album réunissant un réseau d’expérience des lieux dans le temps, soit la sienne, celle de son aïeul et, surtout, celle des personnes dont ces ruines constituent la demeure. Julie Richard, Mathieu Pernot

Mathieu Pernot
La ruine de sa demeure

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