L’esprit de l’escalier, Julien Nédélec

Vanessa Morisset
Atelier W, Pantin,
Du 7 au 14 février 2015
Atelier W, Pantin,
Du 7 au 14 février 2015
Qu’est-ce qu’un artiste peut bien faire d’un atelier aujourd’hui ? Bien sûr il peut en sortir et aller chercher ses problématiques ailleurs, se disant, par exemple, comme Pierre Huyghe, « mon atelier, c’est les autres ». L’esprit de l’escalier, exposition de Julien Nédélec à l’Atelier W de Pantin, semble abonder dans ce sens. Le titre, choisi en référence à Jean-Jacques Rousseau qui qualifiait ainsi les bonnes idées surgies après-coup, suggère en effet que la sortie de l’atelier est la meilleure solution pour un artiste atteint de ce syndrome. C’est en éteignant la lumière de l’atelier que j’eus une illumination, 2015, photographie prise furtivement avec un téléphone portable et tirée sur du papier affiche directement collé au mur, le confirme : le temps de travail n’a rien donné et c’est au moment du départ que l’œuvre s’est concrétisée.

Mais, à y regarder de plus près, la réflexion sur l’atelier est ici bien plus complexe. Dans le contexte des Ateliers W qui comportent, outre un espace d’exposition au rez-de-chaussée, de véritables ateliers à l’étage, le titre évoque à la fois, de manière concrète et métaphorique, le lien d’interdépendance entre les deux concepts. L’exposition conduit à l’atelier et inversement. Nédélec renchérit sur ce va-et-vient en présentant une reconstitution de son propre atelier à Nantes. Ce n’est donc pas seulement l’artiste qui sort de l’atelier, mais l’atelier qui sort tout entier de lui-même en prenant la forme d’une exposition. La nature ambiguë de l’atelier comme contenant ou contenu s’en trouve ainsi soulignée, en écho à Brancusi qui avait scénographié le rangement de ses sculptures dans son espace de travail (plus tard reproduit au Centre Pompidou) ou à Oldenburg qui avait mis le sien en vitrine (The Store, 1961). Aux murs de l’Atelier W, outre l’image prise lors du départ, sont accrochées sept petites photographies encadrées qui reproduisent quelques détails du véritable atelier nantais. Éléments de reconstitution ou œuvres à part entière ? Six mots inscrits à même le mur encouragent la création, « cadence », « écho », « manifeste », « repenti », et aussi « tricher » et bien sûr « partir ». La septième, ne reproduisant quant à elle qu’une portion de mur vide, correspond à un temps de latence, telle une pause dominicale ou un moment où le rien faire est porteur de solutions. Ces images renvoient en tout cas au moment où les œuvres sont encore ouvertes à d’autres possibles.

Pour Julien Nédélec l’atelier est avant tout le lieu où le non-fini – mais en pensant à certaines de ses autres pièces il faudrait sans doute dire « l’infini » – et le fini cohabitent. Se situant non loin des paradoxes des Éléates et de leurs buts théoriquement inatteignables, Nédélec invite à séjourner dans cette zone intermédiaire. Au sol, sont disposées cinq sculptures, toutes intitulées Atlas, avec un sous-titre précisant leur spécificité les unes par rapport aux autres, « après la vitesse », « dégradé », « pas fini ». Elles se composent de socles singuliers, par exemple un support en zigzag formé de planches en chêne massif, ou un volume géométrique partiellement recouvert de laque jaune, tous en revanche surmontés, dans un équilibre minutieusement calculé, d’une même petite pièce, un parallélépipède blanc, qui semble avoir été réalisé en série. En réalité, de même que les socles aux formes recherchées, elles ont aussi été fabriquées par l’artiste, dans un désir à l’absurdité revendiquée, de concurrencer la perfection industrielle. De cette manière, il répond finalement à une autre question sous-jacente à celle du rôle de l’atelier, celle de la virtuosité de l’artiste. En effet, la notion d’atelier suggère une certaine conception de l’art où se mêlent, au pire, génie, efforts, taches manuelles, raison pour laquelle nombres d’artistes se déplacent, sémantiquement du moins, de l’atelier au studio. Nédélec, quant à lui, n’hésite pas un instant à affronter cet aspect embarrassant de l’atelier, dans une démarche qui n’est pas sans rappeler le souvenir du « principe d’équivalence » de Robert Filliou (bien fait=mal fait=pas fait). Déjà dans une œuvre précédente, Je ne peindrai jamais la chapelle des Scrovegni, 2011, s’inspirant du mythe de Giotto qui savait tracer un cercle parfait à main levée, il a essayé, lui aussi, d’une manière plus ou moins feinte, de réussir un cercle à travers plus de 1300 petites peintures. Face à l’industrie ou face à Giotto, le combat pour la virtuosité est perdu d’avance mais le fait de le tenter tout de même donne lieu à la création l’œuvres ouvertes sur l’infini.

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