La rébellion du Deuxième Sexe : L’histoire
de l’art au crible des théories féministes
anglo-américaines (1970-2000)

Katrie Chagnon
Fabienne Dumont (dir.), Paris, Les presses du réel, 2011, 532 p.

Plusieurs études rétrospectives sur le féminisme en art sont parues ces dernières années. Parmi les incontournables, mentionnons l’anthologie Feminism-Art-Theory (2001), Art and Feminism (2001) de Phelan et Reckitt et Feminism and Visual Culture Reader (2010 [2003]), qui vient d’être réédité avec d’importantes modifications. Depuis la position privilégiée du Québec, au carrefour des influences européennes et américaines, on perçoit aisément les enjeux nationaux que soulèvent ces débats épistémologiques ; face à la vitalité du milieu anglo-américain, la France manifeste encore une résistance (paradoxale) vis-à-vis des théories dont elle est, pour une large part, l’origine. 

En remémorant les travaux fondateurs de Simone de Beauvoir, La rébellion du Deuxième Sexe cherche à combler les lacunes du champ français en ouvrant une réflexion interne sur son décalage avec les États-Unis. L’anthologie conçue par Fabienne Dumont offre au lecteur français un échantillon de la pensée féministe d’expression anglaise par la traduction inédite de 15 textes savamment sélectionnés dans ce vaste domaine. Cela dit, la constitution d’un corpus cohérent favorisant la transmission des connaissances n’écarte pas pour autant le conflit entre l’histoire de l’art française et les études de genre. En effet, Dumont choisit d’attaquer de front cette problématique culturelle. Deux objectifs orientent son projet critique : premièrement, élargir les perspectives de sa discipline pour contrer ses tendances conservatrices ; deuxièmement, retracer l’évolution des discours féministes en prenant en considération les échanges interculturels qui jalonnent l’histoire des idées. 

L’approche historiographique de l’ouvrage apparaît dans le découpage chronologique et thématique du corpus. Le recueil se divise en quatre sections présentant des figures majeures des décennies 1970 à 2000 : 1) Les pionnières (L. Lippard) 2) Revisiter les siècles passés (G. Pollock, L. Nochlin) 3) Masculinités et artistes de couleur (A. Solomon-Godeau, L.G. Collins) 4) Postféminisme et queer (A. Jones, J. Halberstam). Si la plupart des textes et des sujets traités nous sont déjà familiers – ce qui n’est pas le cas outre-Atlantique –, le travail de Dumont garde sa pertinence puisqu’il propose une périodisation du mouvement, un angle d’analyse peu développé par les théoriciennes anglophones. Bien que cette méthode ait ses défauts, elle s’avère efficace, puisque l’étude se veut d’abord une introduction aux approches féministes dans le champ restreint de l’histoire de l’art. Cela justifie l’absence de certains noms (p. ex., L. Mulvey), ce qui contraste avec la place accordée à d’autres auteures (p. ex., A. Jones), dont les essais explicatifs viennent complémenter les textes sources. Il ne fait aucun doute que la parution de cette anthologie marque une étape importante pour l’avancement de la recherche féministe en France. Toutefois, sur le continent américain, son intérêt se situe peut-être davantage dans sa réception et les répercussions que celle-ci pourrait avoir sur le champ théorique québécois.

Katrie Chagnon
Cet article parait également dans le numéro 73 - L’art comme transaction
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