La photographie performe [The Body and the Archive]
Du 5 octobre au 14 décembre 2014

Photo : © Gohar Dashti
Du 5 octobre au 14 décembre 2014
Quelle dimension performative la photographie peut-elle avoir ? De quelles manières agit-elle sur le réel qu’elle observe ? Existe-t-il une photographie contemplative, sans autres conséquences qu’esthétiques, par rapport à une photographie engagée ? La liste des questions qui remettent en cause la conception de la photographie comme médium neutre s’allonge au fur et mesure que l’on découvre les œuvres présentées dans l’exposition La Photographie performe, organisée au CPIF par les co-commissaires invités (Chantal Pontbriand, Pontbriand W.O.R.K.S. et le collectif de jeunes curateurs issus de l’Université Paris IV, Agency).
En partant des réflexions critiques et des expérimentations d’Allan Sekula dans les années 1970-80 et du sous-titre, [The Body and the Archive], emprunté à l’un de ses écrits, l’accrochage se déroule comme le fil d’une enquête sur ce que peut bien être une photographie agissante. Entièrement consacrée à l’artiste américain, la première salle permet de redécouvrir le grand intérêt de ses essais et de ses œuvres autour de l’histoire de la photographie, qu’il revisite à travers le prisme de sa défiance – toute foucaldienne – vis-à-vis de l’autorité des archives et de la croyance en un langage universel de l’image. Face à la prétendue objectivité d’une démarche documentaire, Sekula suggère que toute photographie agit en déterminant un cadre d’interprétation du réel.
La suite de l’exposition présente des œuvres d’artistes actuels traitant de problématiques voisines de celles de Sekula. A cet égard, l’une des plus éloquentes est Face of Time, une série de photographies et de dessins réalisée en 2013-2014 par I-Chen Kuo, jeune artiste d’origine taïwanaise. A New York dans le quartier de Times Square, après avoir aperçu dans un bar une femme d’âge mur qui avait retiré son masque de Hello Kitty, il va à la rencontre des Elmo, Super Mario et autres personnages qui monnayent des clichés avec les touristes de passage, afin de découvrir leur véritable identité. L’artiste leur demande de dessiner leur propre portrait et, fait surprenant, tous représentent celui du personnage qu’ils incarnent. Montrés en vis-à-vis du portait photographique de ces mêmes personnes sans leur masque, ces dessins nous projettent au cœur de la notion d’identité, repensée dans le contexte de la culture populaire contemporaine mondialisée.
Plus théâtrales, les grandes photographies Iran, Untitled, 2013, de Gohar Dashti, artiste qui vit et travaille à Téhéran, donnent à voir des groupes de personnes mystérieusement rassemblées au milieu d’un désert, métaphores d’un quotidien difficile, où la force et le dynamisme d’un peuple se heurtent à un environnement hostile. Ici la photographie présente une fiction comme métaphore du réel.
Un autre type de photographie « agissante« », établit un dialogue entre la société civile et le monde de la prison. L’artiste a demandé à des amis incarcérés de lui envoyer par SMS des photos prises avec leur téléphone. Images clandestines, réalisées à la sauvette, elles parasitent la tradition documentaire en lui imposant une indéniable authenticité.
Par le biais de la circulation des images, un dialogue s’établit avec l’installation d’Eric Baudelaire, Déplacement de site, 2007. A partir de photographies réalisées dans les rues de Clermont-Ferrand, il a demandé à un photographe de Bombay de prendre des clichés qui fassent écho aux siens. Il en résulte des couples de photographies qui mutuellement éclairent leurs similitudes et leurs différences, invitant à élargir ce jeu de va-et-vient à l’échelle de la ville, du pays et des artistes.
Grâce à des œuvres variées, venant de lieux parfois très éloignés, mais convergeant vers les mêmes questionnements sur le pouvoir des images, l’exposition dans son ensemble contribue à une réflexion où le théorique émane de situations très concrètes. En somme, L’image performe ne renouvellerait-elle pas, dans des termes actuels, l’injonction marxiste de ne plus seulement interpréter le monde mais de le transformer ?