La Nuit des taupes : Underground explosif
Jusqu’au 31 mai
Usine C, à l’occasion du FTA
Du 3 au 6 juin.

Jusqu’au 31 mai
Usine C, à l’occasion du FTA
Du 3 au 6 juin.
Philippe Quesne nous avait séduits avec L’effet de Serge en 2010, présenté au Carrefour international de théâtre et au FTA. Avec La Nuit des taupes, le ludique metteur en scène nous invite dans l’univers souterrain des taupes, petites bêtes accablées d’une myopie légendaire, mais infatigables travailleuses du sous-sol où elles s’affairent à creuser des tunnels à la recherche de vers et autres insectes. Elle est le prédateur dans l’obscurité et le ravageur des jardins. Mais le bestiaire que nous propose le dramaturge français nous force à réviser nos préjugés.
Une boite de carton occupe le centre de la scène. Trois coups de bêche, comme les traditionnels trois coups de théâtre, viennent transpercer le mur pour y insérer un cylindre. Poussant des cailloux devant elles, les taupes empruntent ce passage étroit pour débouler dans un espace clos qu’elles s’emploieront à élargir pour le transformer en paradis pour taupes.
Ces mascottes de foire, muettes, ici format géant, nous proposent une nuit infernale faite de labeur soutenu par une musique live omniprésente. En abolissant la boite, elles nous font découvrir progressivement une grotte immense, habitat des premiers humains qui inventent le feu et les trottinettes électriques parmi stalactites et stalagmites. Elles creusent, déplacent littéralement des montagnes, aménagent des galeries où elles jouent, glissent, mangent des vers en forme d’intestins gigantesques, pleurent les morts, fêtent les naissances. Mais surtout, accompagnant ce cortège du quotidien, elles s’inventent un monde musical fascinant. Comme dans un grand show pop, éclairs lumineux et fumée magnifient un étonnant et stimulant concert rock sur fond de thérémine, cet étrange instrument dont on joue sans le toucher, clin d’œil amusant pour des taupes dont les mains sont l’outil essentiel.

En éliminant l’humain du spectacle, en ouvrant l’espace scénique comme une boite de Pandore où la lumière, les couleurs, les voiles, les accessoires toujours en mouvement révèlent un monde sans fin, en développant une narration sans texte mais portée par la matière, Quesne nous propose une allégorie de la caverne… inversée. Tout à coup le monde extérieur est l’illusion, tout le réel est dans la grotte. Et la marche des taupes est celle de l’humanité qui s’extrait de l’inconscience et de la noirceur pour déployer l’amplitude de la matière et partant l’amplitude de l’esprit. Il s’agit d’élargir nos horizons. Cela n’est pas sans rappeler L’Extase matérielle de J.M.J. Le Clézio : « La beauté de la vie, l’énergie de la vie ne sont pas de l’esprit, mais de la matière. » Ainsi les taupes se forgent un devenir par la manipulation des matériaux, par leur cohabitation immédiate avec le terreau premier.
Les taupes s’étaient déjà attiré un grand capital de sympathie mardi dernier dans leur escapade sur la rue Cartier en route vers le Musée national des beaux-arts du Québec. Hier soir, elles ont conquis le public par leur présence besogneuse et virtuose. C’est qu’elles s’adressent à l’enfant en nous qui restons sensibles aux toutous, mais surtout elles parviennent à établir une étrange complicité magique. On ne peut jamais s’empêcher de faire un peu d’anthropomorphisme. Ces taupes nous rendent heureux. Parce qu’il se passe des choses déraisonnables et jubilatoires dans l’underground, il faut vite descendre dans la taupinière de Philippe Quesne et ses complices de plateau.
La Nuit des taupes de Philippe Quesne
Les taupes : Yvan Clédat, Jean-Charles Dumay, Léo Gobin, Sébastien Jacobs, Erwan Larcher, Thomas Suire, Gaëtan Vourc’h.
Costumes : Corine Petitpierre, assistée d’Anne Tesson.
Production de Nanterre-Amandiers, centre dramatique national.